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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

Le mur du jardin des Bravées était très bas ; on pouvait l’enjamber. L’idée de l’enjamber lui eût paru épouvantable. Mais il n’était pas défendu d’entendre en passant, comme tout le monde, les voix des personnes qui parlaient dans les chambres ou dans le jardin. Il n’écoutait pas, mais il entendait. Une fois, il entendit les deux servantes, Douce et Grâce, se quereller. C’était un bruit de la maison. Cette querelle lui resta dans l’oreille comme une musique.

Une autre fois, il distingua une voix qui n’était pas la voix de Déruchette. Il prit la fuite.

Les paroles que cette voix avait prononcées demeurèrent à jamais gravées dans sa pensée. Il se les redisait à chaque instant. Ces paroles étaient : Vous plairait-il me bailler le genêt[1] ?

Par degrés il s’enhardit. Il osa s’arrêter. Il arriva une fois que Déruchette, impossible à apercevoir du dehors, quoique sa fenêtre fût ouverte, était à son piano, et chantait. Elle chantait son air Bonny Dundee. Il devint très pâle, mais il poussa la fermeté jusqu’à écouter.

Le printemps arriva. Un jour, Gilliatt eut une vision ; le ciel s’ouvrit. Gilliatt vit Déruchette arroser des laitues.

Bientôt, il fit plus que s’arrêter. Il observa ses habitudes, il remarqua ses heures, et il l’attendit.

Il avait bien soin de ne pas se montrer.

Peu à peu, en même temps que les massifs se remplis-

  1. Me donner le balai.