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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

avait au-dessus de sa tête le va-et-vient des nuages. Il était assis sur une pierre dans l’herbe. Tout était plein de bruits d’oiseaux. Il se prenait le front à deux mains et se demandait : Mais enfin pourquoi a-t-elle écrit mon nom sur la neige ? Le vent de mer jetait au loin de grands souffles. Par intervalles, dans la carrière lointaine de la Vaudue, la trompe des mineurs grondait brusquement, avertissant les passants de s’écarter et qu’une mine allait faire explosion. On ne voyait pas le port de Saint-Sampson, mais on voyait les pointes des mâts par-dessus les arbres. Les mouettes volaient, éparses. Gilliatt avait entendu sa mère dire que les femmes pouvaient être amoureuses des hommes, que cela arrivait quelquefois. Il se répondait : Voilà. Je comprends, Déruchette est amoureuse de moi. Il se sentait profondément triste. Il se disait : Mais elle aussi, elle pense à moi de son côté ; c’est bien fait. Il songeait que Déruchette était riche, et que, lui, il était pauvre. Il pensait que le bateau à vapeur était une exécrable invention. Il ne pouvait jamais se rappeler quel quantième du mois on était. Il regardait vaguement les gros bourdons noirs à croupes jaunes et à ailes courtes qui s’enfoncent avec bruit dans les trous des murailles.

Un soir, Déruchette rentrait se coucher. Elle s’approcha de sa fenêtre pour la fermer. La nuit était obscure. Tout à coup Déruchette prêta l’oreille. Dans cette profondeur d’ombre il y avait une musique. Quelqu’un qui était probablement sur le versant de la colline, ou au pied des tours du château du Valle, ou peut-être plus loin encore, exécutait un air sur un instrument. Déruchette reconnut sa