Page:Hugo - Les Travailleurs de la mer Tome I (1891).djvu/356

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
350
LES TRAVAILLEURS DE LA MER

Le capitaine, debout sur le pont de commandement entre les deux tambours, regardait fixement le timonier. Il répéta entre ses dents : Ivrogne ! L’honnête Tangrouille baissa la tête.

Le brouillard s’était développé. Il occupait maintenant près de la moitié de l’horizon. Il avançait dans tous les sens à la fois ; il y a dans le brouillard quelque chose de la goutte d’huile. Cette brume s’élargissait insensiblement. Le vent la poussait sans hâte et sans bruit. Elle prenait peu à peu possession de l’océan. Elle venait du nord-ouest et le navire l’avait devant sa proue. C’était comme une vaste falaise mouvante et vague. Elle se coupait sur la mer comme une muraille. Il y avait un point précis où l’eau immense entrait sous le brouillard et disparaissait.

Ce point d’entrée dans le brouillard était encore à une demi-lieue environ. Si le vent changeait, on pouvait éviter l’immersion dans la brume ; mais il fallait qu’il changeât tout de suite. La demi-lieue d’intervalle se comblait et décroissait à vue d’œil ; la Durande marchait, le brouillard marchait aussi. Il venait au navire et le navire allait à lui.

Clubin commanda d’augmenter la vapeur et d’obliquer à l’est.

On côtoya ainsi quelque temps le brouillard, mais il avançait toujours. Le navire pourtant était encore en plein soleil.

Le temps se perdait dans ces manœuvres qui pouvaient difficilement réussir. La nuit vient vite en février.

Le guernesiais considérait cette brume. Il dit aux malouins :