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IMPRUDENCE DE FAIRE DES QUESTIONS

pendait sur sa joue. Il ne disait rien. Ses bras n’avaient pas de mouvement, sa bouche semblait n’avoir plus de souffle. Il avait l’air d’une chose posée contre le mur.

On sentait, en le voyant, l’homme au dedans duquel la vie vient de s’écrouler. Durande n’étant plus, Lethierry n’avait plus de raison d’être. Il avait une âme en mer, cette âme venait de sombrer. Que devenir maintenant ? Se lever tous les matins, se coucher tous les soirs. Ne plus attendre Durande, ne plus la voir partir, ne plus la voir revenir. Qu’est-ce qu’un reste d’existence sans but ? Boire, manger, et puis ? Cet homme avait couronné tous ses travaux par un chef-d’œuvre, et tous ses dévouements par un progrès. Le progrès était aboli, le chef-d’œuvre était mort. Vivre encore quelques années vides, à quoi bon ? Rien à faire désormais. À cet âge on ne recommence pas ; en outre, il était ruiné. Pauvre vieux bonhomme !

Déruchette, pleurante près de lui sur une chaise, tenait dans ses deux mains un des poings de mess Lethierry. Les mains étaient jointes, le poing était crispé. La nuance des deux accablements était là. Dans les mains jointes quelque chose espère encore ; dans le poing crispé, rien.

Mess Lethierry lui abandonnait son bras et la laissait faire. Il était passif. Il n’avait plus que la quantité de vie qu’on peut avoir après le coup de foudre.

Il y a de certaines arrivées au fond de l’abîme qui vous retirent du milieu des vivants. Les gens qui vont et viennent dans votre chambre sont confus et indistincts ; ils vous coudoient sans parvenir jusqu’à vous. Vous leur êtes inabordable et ils vous sont inaccessibles. Le bonheur et le déses-