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IMPRUDENCE DE FAIRE DES QUESTIONS

veau clouée, mais plus solidement que sur le brisant sous-marin. Elle allait rester là, déplorablement suspendue, livrée à tout le vent et à toute la mer.

La Durande, au dire de l’équipage du Shealtiel, était déjà aux trois quarts fracassée. Elle eût évidemment coulé dans la nuit si l’écueil ne l’eût retenue et soutenue. Le patron du Shealtiel avec sa lunette avait étudié l’épave. Il donnait avec la précision marine le détail du désastre ; la hanche de tribord était défoncée, les mâts tronqués, la voilure déralinguée, les chaînes des haubans presque toutes coupées, la claire-voie du capot-de-chambre écrasée par la chute d’une vergue, les jambettes brisées au ras du plat bord depuis le travers du grand mât jusqu’au couronnement, le dôme de la cambuse effondré, les chantiers de la chaloupe culbutés, le rouffle démonté, l’arbre du gouvernail rompu, les drosses déclouées, les pavois rasés, les bittes emportées, le traversin détruit, la lisse enlevée, l’étambot cassé. C’était toute la dévastation frénétique de la tempête. Quant à la grue de chargement scellée au mât sur l’avant, plus rien, aucune nouvelle, nettoyage complet, partie à tous les diables, avec sa guinderesse, ses moufles, sa poulie de fer et ses chaînes. La Durande était disloquée ; l’eau allait maintenant se mettre à la déchiqueter. Dans quelques jours, il n’en resterait rien.

Pourtant la machine, chose remarquable et qui prouvait son excellence, était à peine atteinte dans ce ravage. Le patron du Shealtiel croyait pouvoir affirmer que « la manivelle » n’avait point d’avarie grave. Les mâts du navire avaient cédé, mais la cheminée de la machine avait résisté.