Page:Hugo - Les Travailleurs de la mer Tome I (1891).djvu/400

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
394
LES TRAVAILLEURS DE LA MER

Les gardes de fer de la passerelle de commandement étaient seulement tordues ; les tambours avaient souffert, les cages étaient froissées, mais les roues ne paraissaient pas avoir une palette de moins. La machine était intacte. C’était la conviction du patron du Shealtiel. Le chauffeur Imbrancam, qui était mêlé aux groupes, partageait cette conviction. Ce nègre, plus intelligent que beaucoup de blancs, était l’admirateur de la machine. Il levait les bras en ouvrant les dix doigts de ses mains noires et disait à Lethierry muet : Mon maître, la mécanique est en vie.

Le salut de Clubin semblant assuré, et la coque de la Durande étant sacrifiée, la machine, dans les conversations des groupes, était la question. On s’y intéressait comme à une personne. On s’émerveillait de sa bonne conduite. — Voilà une solide commère, disait un matelot français. — C’est de quoi bon ! S’écriait un pêcheur guernesiais. — Il faut qu’elle ait eu de la malice, reprenait le patron du Shealtiel, pour se tirer de là avec deux ou trois écorchures.

Peu à peu cette machine fut la préoccupation unique. Elle échauffa les opinions pour et contre. Elle avait des amis et des ennemis. Plus d’un, qui avait un bon vieux coutre à voiles, et qui espérait ressaisir la clientèle de la Durande, n’était pas fâché de voir l’écueil Douvres faire justice de la nouvelle invention. Le chuchotement devint brouhaha. On discuta presque avec bruit. Pourtant c’était une rumeur toujours un peu discrète, et il se faisait par intervalles de subits abaissements de voix, sous la pression du silence sépulcral de Lethierry.

Du colloque engagé sur tous les points, il résultait ceci :