Page:Hugo Rhin Hetzel tome 3.djvu/13

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Ma foi ! tant pis, tirez-vous-en comme vous pourrez ; les vieilles amitiés sont bavardes.

Je suis arrivé dans cette ville depuis dix jours, cher ami, et je ne puis m’en arracher. Dans votre excursion en Allemagne, il y a douze ans, êtes-vous venu à Heidelberg ? surtout vous y êtes-vous arrêté ? car il ne faut pas passer à Heildelberg, il faut y séjourner, il faudrait y vivre. Je ne vous en dirai certes pas autant de cette espèce de faux Versailles badois qu’on appelle Mannheim, insipide ville, dont les rues semblent coupées à l’équerre dans un bloc de plâtre, et dont les clochers, comme ceux de Namur, ne sont pas des clochers, mais des bilboquets réussis. En descendant du bateau à vapeur du Rhin, je suis resté à Mannheim le temps de faire atteler ma voiture, et je me suis enfui en hâte à Heidelberg. Faites-en autant si jamais vous venez ici.

Heidelberg, située et comme réfugiée au milieu des arbres, à l’entrée de la vallée du Neckar, entre deux croupes boisées plus fières que des collines et moins âpres que des montagnes, a ses admirables ruines, ses deux églises du quinzième siècle, sa charmante maison de 1595, à façade rouge et à statues dorées, dite l’auberge du chevalier de Saint-Georges, ses vieilles tours sur l’eau, son pont, et surtout sa rivière, sa rivière limpide, tranquille et sauvage, où foisonnent les truites, où abondent les légendes, où se hérissent les rochers, où le flot, compliqué d’écueils, n’est qu’un inextricable réseau de tourbillons et de courants ; ravissant fleuve-torrent où l’on peut être sûr que jamais un bateau à vapeur ne viendra patauger.

Je mène ici une vie occupée, occupée un peu au hasard, il est vrai ; mais je ne perds pas un instant, je vous assure ; je hante la forêt et la bibliothèque, cette autre forêt ; et le soir, rentré dans ma chambre d’auberge, comme votre ami Benvenuto Cellini, j’écris sur des feuilles, qui s’en iront je ne sais où, mes aventures de la journée.

Questa mia vita travagliata io scrivo.


Seulement les travaux de Benvenuto, c’étaient des coups d’épée ou de stylet, des évasions du château Saint-Ange,