Page:Hugo Rhin Hetzel tome 3.djvu/169

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hérissées avaient crû, comme la végétation d’épines et de broussailles qui obstrue les ruines, sur ses mots les plus doux, les plus sonores, les plus harmonieux, les mieux prononcés par les poètes. Le grec, en passant par la bouche des turcs, en était retombé patois. Les vocables turcs, bourbe de tous les idiomes d’Asie, avaient troublé à jamais, en s’y précipitant pêle-mêle, cette langue si transparente, si pure et si splendide, langue de cristal d’où était sortie une poésie de diamant. Les noms des villes grecques s’étaient déformés et étaient devenus hideux. Les contrées voisines, sur lesquelles Hellé rayonnait jadis, avaient subi la même souillure ; Argos s’était changée en Filoquia ; Delos en Dili, Didymo-Tychos en Dimotuc, Tzorolus en Tchourli, Zephirium en Zafra, Sagalessus en Sadjaklu, Nyssa en Nous-Shehr, Moryssus en Moucious, Cybistra en Bustereh, le fleuve Acheloüs en Aspro-Potamos, et le fleuve Poretus en Pruth. N’est-ce pas avec le sentiment douloureux qu’inspirent la dégradation et la parodie qu’on reconnaît dans Stan-Ko, Cos, patrie d’Apelles et d’Hippocrate ; dans Fionda, Phasélis, où Alexandre fut obligé de mettre un pied dans la mer, tant le passage Climax était étroit ; dans Hesen-Now, Novus, où était le trésor de Mithridate ; dans Skipsilar, Scapta-Hyla, où Thucydide avait des mines d’or et écrivait son histoire ; dans Temeswar, Tomi, où fut exilé Ovide ; dans Kokso, Coutousos, où fut exilé saint Chrysostome ; dans Giustendil, Justiniana, berceau de Justinien ; dans Salenti, Trajanopolis, tombeau de Trajan ! L’Olympe, l’Ossa, le Pélion et le Pinde s’appelaient le beylick de Janina ; un pacha accroupi sur une peau de tigre fronçait le sourcil dans la même montagne que Jupiter. La dérision amère qui semblait sortir des mots sortait aussi des choses : l’Etolie, cette ancienne république si puissante et si fière, formait le Despotat. Quant à la vallée de Tempé, frigida tempe, devenue sauvage et inaccessible sous le nom de Lycostomo, pleine désormais de haine, de ronces et d’obscurité, elle s’était métamorphosée en vallée des loups.

L’idée terrible qu’éveille la barbarie faite nation, ayant des flottes et des armées, s’incarnait vivante et complète dans le sultan des turcs. C’est à peine si l’Europe osait regarder de loin ce prince effrayant. Les richesses du sultan,