Page:Hugo Rhin Hetzel tome 3.djvu/225

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Le tableau que nous venons de dresser dans les quelques pages qui précèdent prouve encore, et prouve souverainement, ceci : c’est que les mots ne sont rien, c’est que les idées sont tout. À quoi bon batailler en effet pour ou contre le mot république, par exemple, lorsqu’il est démontré que sept républiques, quatre états électifs et soixante-six villes franches tiennent moins de place dans la civilisation européenne qu’une idée de liberté semée par la France à tous les vents !

En effet, les états nuisent ou servent à la civilisation, non par le nom qu’ils portent, mais par l’exemple qu’ils donnent. Un exemple est une proclamation.

Or, quel est l’exemple que donnaient les républiques disparues, et quel est l’exemple que donne la France ?

Venise aimait passionnément l’égalité. Le doge n’avait que sa voix au sénat. La police entrait chez le doge comme chez le dernier citoyen, et, masquée, fouillait ses papiers en sa présence sans qu’il osât dire un mot. Les parents du doge étaient suspects à la république par cela seul qu’ils étaient parents du doge. Les cardinaux vénitiens lui étaient suspects comme princes étrangers. Catherine Cornaro, reine de Chypre, n’était à Venise qu’une dame de Venise. La république avait proscrit les titres héraldiques. Un jour un sénateur, nommé par l’empereur comte du Saint-Empire, fit sculpter en pierre sur le fronton de sa porte une couronne comtale au-dessus de son blason. Le lendemain matin la couronne avait disparu. Le conseil des dix pendant la nuit l’avait fait briser à coups de marteau. Le sénateur dévora l’affront et fit bien. Sous François Foscari, quand le roi de Dacie vint séjourner à Venise, la république lui donna rang de citoyen ; rien de plus. Jusqu’ici tout va d’accord, et l’égalité la plus jalouse n’aurait rien à reprendre. Mais, au-dessous des citoyens, il y avait les citadins. Les citoyens, c’était la noblesse ; les citadins, c’était le peuple. Or les citadins, c’est-à-dire le peuple, n’avaient aucun droit. Leur magistrat suprême, qui s’appelait le chancelier des citadins et qui était une façon de doge plébéien, n’avait rang que fort loin après le dernier des nobles. Il y avait entre le bas et le haut de l’état une muraille infranchissable, et en aucun cas la citadinance ne menait à la seigneurie.