Page:Hugo Rhin Hetzel tome 3.djvu/24

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

frisson involontaire, je vous l’avoue, que la haute broussaille s’est rapprochée de quelques pas. Je répète : qui est  ? et, au moment où j’allais marcher résolument à elle, je la vois qui vient à moi, et j’en entends sortir pour la troisième fois la voix décrépite qui dit : Heidenloch.

Dans ces lieux déserts, à ces heures bizarres de la nuit, on est tendre aux superstitions, et je vous déclare que toutes les légendes du Rhin et du Neckar commençaient à me revenir à l’esprit, et me montaient au cerveau comme une fumée, lorsque le buisson surnaturel se retourna. Alors ce qui était dans l’ombre fit face à la lune, et j’aperçus une petite vieille courbée jusqu’au menton sur un bâton à gros nœuds, presque enfouie sous un grand tas de branchages qui la débordait de tous côtés, balayant la terre derrière elle et se balançant au-dessus de sa tête de la manière la plus fantastique. Elle me regardait avec ses yeux gris en me répétant : Heidenloch ! Heidenloch !

On eût dit une vieille dryade chassée par les bûcherons, emportant son arbre sur son dos.

C’était tout simplement une pauvre bonne femme qui revenait de couper des broussailles dans la forêt, qui avait aperçu un étranger, et qui lui avait donné un renseignement, et qui maintenant regagnait sa chaumière au clair de la lune, traînant son fagot par le sentier des géants.

Je l’ai remerciée par quelques kreutzers, tout en la considérant avec admiration. Je n’ai vu de ma vie une plus petite vieille sous un plus énorme fagot.

Elle m’adressa, avec un grognement reconnaissant, une affreuse grimace gracieuse, qui était, il y a cinquante ans, un frais et charmant sourire. Puis elle me tourna le dos, c’est-à-dire la broussaille ; et, au bout de quelques minutes, arrivée à la pente du mont, elle s’enfonça dans la terre, et s’évanouit comme une apparition. Son explication, du reste, n’expliquait rien. C’était un mot lugubre ajouté à une chose lugubre. Voilà tout.

Je vous avoue que je suis resté longtemps à cette place, regardant ce trou des Païens, qui est peut-être la tombe ouverte et vide d’un géant, peut-être une chambre druidique, peut-être le puisard d’un camp romain, ou le réservoir