Page:Hugo Rhin Hetzel tome 3.djvu/69

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laquelle se dérobait la montagne ; en bas, d’immenses plaines avec des méandres d’eau reluisant comme des éclairs ; au fond, une ligne sombre, confuse et épaisse, ― la Forêt-Noire, ― tout un panorama magique entrevu au clair de lune. Ces spectacles inachevés ont peut-être plus de prestige encore que les autres. Ce sont des rêves qu’on touche et qu’on regarde. Je savais que j’avais sous les yeux la France, l’Allemagne et la Suisse, Strasbourg avec sa flèche, la Forêt-Noire avec ses montagnes, le Rhin avec ses détours ; je cherchais tout, je supposais tout, et je ne voyais rien. Je n’ai jamais éprouvé de sensation plus extraordinaire. Mêlez à cela l’heure, la course, les chevaux emportés par la pente, le bruit violent des roues, le frémissement des vitres abaissées, le passage fréquent des ombres des arbres, les souffles qui sortent le matin des montagnes, une sorte de murmure que faisait déjà la plaine, la beauté du ciel, et vous comprendrez ce que je sentais. Le jour, cette vallée émerveille ; la nuit, elle fascine.

La descente se fait en un quart d’heure. Elle a cinq quarts de lieue. ― Une demi-heure plus tard, c’était le crépuscule ; l’aube à ma gauche étamait le bas du ciel, un groupe de maisons blanches couvertes de tuiles noires se découpait au sommet d’une colline, le véritable azur du jour commençait à déborder l’horizon, quelques paysans passaient déjà, allant à leurs vignes, une lumière claire, froide et violette luttait avec la lueur cendrée de la lune, les constellations pâlissaient, deux des pléiades avaient disparu, les trois chevaux du chariot descendaient rapidement vers leur écurie aux portes bleues, il faisait froid, j’étais gelé, il a fallu lever les vitres. Un moment après, le soleil se levait, et la première chose qu’il me montrait, c’était un notaire de village faisant sa barbe à sa fenêtre, le nez dans un miroir cassé, sous un rideau de calicot rouge.

Une lieue plus loin, les paysans devenaient pittoresques, les rouliers devenaient magnifiques ; j’ai compté à l’un d’eux treize mulets attelés de chaînes largement espacées. On sentait l’approche de Strasbourg, la vieille ville allemande.

Tout en galopant nous traversions Wasselonne, long