Page:Huysmans - L'Oblat.djvu/172

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


— Il y a belle lurette, fit Dom Felletin, en souriant, que des accusations de ce genre ont été lancées contre nous. Sans parler de la querelle de saint Bernard et de Pierre Le Vénérable, à ce sujet, rappelez-vous que dans sa dissertation pour prouver que l’hémine de vin accordée par jour aux moines était de demi-setier, Dom Claude Lancelot, l’un des solitaires de Port-Royal, reprochait déjà aux Bénédictins du dix-septième siècle de tricher sur les heures des repas ; — ce que nous faisons, nous aussi, en carême ; et il déclare que l’on ne doit manger qu’après l’heure de vêpres, c’est-à-dire, le soir.

Or, les Trappistes, si rigoureux pour eux-mêmes, ne peuvent plus supporter cette abstinence. Il est, en effet, impossible de se tenir debout, de deux heures du matin, comme eux ou même de quatre heures, comme nous, sans prendre aucune collation jusqu’à quatre heures du soir ; la tête tourne et les détraquements d’estomac et les névralgies sévissent. Il a bien été nécessaire dès lors de frauder et de situer, en carême, les vêpres, avant midi, c’est-à-dire avant l’heure du repas ; et croyez bien que, malgré cet adoucissement, je dispense encore la plupart de mes novices du jeûne jusqu’à midi. Je leur concède, le matin, le frustulum ; ne fût-il que d’une goutte de café noir et d’une miette de pain, il suffit pour empêcher les vertiges et les migraines. Vous ne vous doutez pas combien, dans une existence, privée d’exercice, la santé se débilite surtout lorsque la nourriture est peu succulente, privée de viandes saignantes et alourdie par l’abus des farineux. À la fin du carême, où le pain même est mesuré et où personne ne mange à sa faim, les caractères sont changés. Tout le monde