Page:Huysmans - L'Oblat.djvu/407

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Un mot a été prononcé, il y a quelques années, par un postulant venu du monde et que nous avons d’ailleurs congédié, pour motif de non vocation ; ce mot je n’ai pu l’oublier et il m’obsède, le voici : « on ne mange pas mal dans ce cloître, on y dort suffisamment, on n’y travaille pas et l’on y fait son salut, c’est mon affaire. »

L’exagération est manifeste, mais…

— Voyons, père, fit Durtal, on ne mange pas si bien que cela, chez vous !

— On ne mange pas bien !

— C’est mangeable, soyons juste, mais ce n’est pas un régal ; le péché de gourmandise est sauf.

Le père tombait de son haut.

— Vous êtes difficile, dit-il, moi je trouve que c’est bon, trop bon ; au reste, cette question de la cuisine n’est que subsidiaire ; mais elle se rattache à tout un ensemble de choses qui m’inquiète.

Je suppose, en effet, que je ne sois pas entré au cloître, que je sois resté dans le monde, ainsi que vous. J’aurais eu certainement bien des épreuves, bien des peines que j’ai évitées, en étant en clôture. Il m’aurait fallu gagner ma vie, payer mon terme, élever des enfants si je m’étais marié, soigner peut-être une femme malade ; d’autre part, admettons que, n’étant point demeuré laïque, je sois curé ou vicaire dans une campagne, j’aurais alors charge d’âmes, je devrais courir dans les hameaux de ma paroisse pour dispenser des secours, me débattre avec mon évêque et des municipalités souvent hostiles, mener une vie de chien, en un mot.

Au lieu de cela, je suis tel qu’un coq en pâte, qu’un rentier. Je n’ai à m’occuper ni de ma nourriture, ni