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LA MUTABILITÉ DE LA LITTÉRATURE,
COLLOQUE DANS L’ABBAYE DE WESTMINSTER.


Ici-bas, j’en connais la douloureuse histoire,
C’est la commune loi, tout va se flétrissant.
Je sais : toute œuvre humaine est promise au néant,
Je sais : les doux accords des filles de mémoire,
Que l’esprit ne produit qu’à grand’peine, en souffrant,
Ne reçoivent jamais qu’un accueil méprisant,
Et rien n’est plus trompeur, plus léger que la gloire.

Drummond de Hawthornden.


Il est un certain état de l’âme dans lequel, songeant à demi, nous fuyons naturellement l’éclat et le bruit et cherchons quelque silencieux asile où nous puissions nous livrer à nos rêveries et bâtir sans être dérangés nos châteaux en Espagne. C’est dans une situation d’esprit analogue que j’errais autour des vieux cloîtres gris de l’abbaye de Westminster, jouissant de ce bonheur qui consiste à laisser vaguer ses pensées, et que chacun est enclin à décorer du nom de méditation, quand soudain une bande de jeunes fous lâchés de l’école de Westminster, qui jouaient au ballon, vint rompre le calme monastique de l’endroit et faire retentir de sa gaieté les passages voûtés et les tombes en ruine. J’essayai de trouver un refuge contre leurs clameurs en pénétrant encore plus avant dans les solitudes de l’édifice, et m’adressai à l’un des huissiers pour être admis dans la bibliothèque. Il me conduisit par une espèce de porche enrichi de sculptures d’un vieux style se détachant par morceaux, lequel donnait sur un passage obscur qui menait à la maison du chapitre et à la chambre où est déposé le grand Terrier d’Angleterre. Dans ce passage même, sur la gauche, est une petite porte. L’huissier y vint appliquer une clef. Elle était fermée à double tour, et fit quelque difficulté pour