Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/158

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res grossièrement exécutées, mais où se lisait l’intention de reproduire les traits du mort. Sur les croix se détachaient des guirlandes de fleurs, les unes en train de se flétrir, les autres encore fraîches, comme si de temps à autre on les eût renouvelées. Je m’arrêtai devant cette scène avec intérêt ; je sentis que j’étais à la source de l’inspiration poétique, car c’étaient là les magnifiques bien que naïves offrandes du cœur que les poëtes sont heureux d’enregistrer. Dans un endroit plus populeux et plus gai, je les aurais soupçonnées d’avoir été suggérées par un sentiment factice né des livres ; mais les bonnes gens de Gersau ne savaient pas grand’chose en fait de livres ; il n’y avait pas un roman, pas une histoire d’amour dans le village ; et je mets en question si seulement un de ces paysans songeait, tandis qu’il tressait une fraîche guirlande pour la tombe de sa maîtresse, qu’il accomplissait un des rites les plus gracieux de la dévotion poétique, et qu’il était réellement un poëte.


LA CUISINE D’AUBERGE.


Ne prendrai-je donc pas mes aises dans mon auberge ?
Falstaff.


Pendant certain voyage que je fis dans les Pays-Bas, je descendis un soir à la Pomme-d’Or, principale auberge d’un petit village flamand. L’heure de la table d’hôte était passée, de sorte que je fus obligé de faire un souper solitaire des débris d’un repas plus splendide. Le temps était froid ; j’étais seul, assis à l’un des bouts d’une vaste et sombre salle à manger, et, mon repas terminé, j’avais devant moi la perspective d’une longue