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FIN D’ANNÉE

« La Dépêche » du jeudi 1er janvier 1891

Je vois qu’en faisant la revue obligée de l’année qui finit, beaucoup de journaux se félicitent de ce qu’ils appellent le calme de l’esprit public. Je ne sais s’il faut s’en féliciter à ce point, mais je conviens qu’en effet l’esprit est d’un calme absolu. Il n’est plus troublé par aucune idée. Hier au soir, quatre personnes de bon sens, causant autour d’une table de travail, se sont demandé à six heures moins le quart : « À quoi donc pense en ce moment l’espèce humaine ? » Elles ont été obligées de conclure mathématiquement que l’espèce humaine ne pensait à rien : ce qui leur a permis de constater sans trop d’angoisses patriotiques qu’au même jour et à la même heure, la France ne pensait pas à grand’chose.

Il paraît que la politique tenait tout entière dans les crises ministérielles et dans les gros mots ; car, depuis que les ministères ne tombent pas et que le boulangisme lui-même est à peu près poli, les Français considèrent que la politique n’existe plus. Les conservateurs ont depuis leur défaite perdu l’âme et l’esprit : ils ne savent