Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/131

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aux souverains l’impression qu’elle a été grandie et non affaiblie par la crise révolutionnaire, elle s’étendra jusqu’à ses limites naturelles. Elle sera la nation libre, puissante, glorieuse, dont la grandeur mesurée, mais visible et sensible à tous, attestera que la Révolution est un principe de force : la grandeur nationale ainsi entendue sera encore un hommage à la Révolution.

Mais en même temps qu’elle marquera sa large place dans le monde, la France cessera d’être pour les autres peuples une menace ou une énigme. Elle ne prétendra pas bouleverser incessamment, au nom du droit révolutionnaire, les rapports intérieurs et extérieurs des nations. Elle entrera dans le système général de l’Europe, se liera par des traités, affermira la paix. Alors les luttes des partis, exaspérés maintenant en France par la violence de la crise, s’y atténueront, s’y convertiront en fécondes rivalités. Une démocratie généreuse et ouverte, toujours occupée à soutenir et à élever les humbles sans abattre les énergies altières et les entreprises hardies, développera dans le calme ses passions réglées et fortes. Voilà le grand rêve qui emplissait à cette heure le front de Danton.

Michelet se trompe lorsque, sous l’impression de l’erreur commise par lui à propos du procès du roi, il croit que Danton, à cette date, est découragé et inquiet : « Il se vit, lui Danton, avec sa force et son génie, asservi à la médiocrité inquisitoriale et scolastique de la société jacobine, condamné à perpétuité à subir Robespierre comme maître, docteur et pédagogue, à porter l’insupportable poids de sa lente mâchoire, jusqu’à ce qu’il en fût dévoré. »

Non, certes : il n’eut jamais plus de confiance en lui-même et en l’avenir qu’en ces premiers jours de 93. Il croyait que, par le génie militaire de Dumouriez, la France allait être maîtresse de la Hollande, comme de la Belgique, et obliger à la paix l’Angleterre menacée dans son commerce. La paix avec l’Europe, il en dessinait déjà les conditions : il se voyait par la seule puissance de son génie, par la force de son vouloir et la précision de sa pensée, le chef de la Révolution belliqueuse, et bientôt le chef de la France pacifiée, l’organisateur et le guide d’une démocratie puissante et heureuse. Ce n’est point par découragement qu’il pèche à cette heure, mais par excès de confiance en lui-même.

Son plan était admirable de netteté : mais il y a deux choses qu’il n’avait point prévues : la défaite de Dumouriez, et l’impuissance de la Révolution à supporter, sans se déchirer elle-même, des revers passagers. Il était soulevé par un grand espoir. Ce qu’il dira quelques jours plus tard à Guadet qui l’attaquait : « Tu ne connais pas ma force », il le disait toujours en sa pensée aux événements et aux hommes. Sans doute, quoiqu’il vécut surtout de l’action immédiate et des joies présentes de la vie, il n’était pas insensible à la gloire de sauver tout ensemble et d’ordonner la Révolution. Et quand il levait les yeux, il voyait « le Panthéon de l’histoire ».