Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/136

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Pour le grade tout à fait inférieur, celui de caporal, et pour les grades tout à fait supérieurs, le règlement est autre. Pour les caporaux (cela est tout naturel) aucune part n’est faite à l’ancienneté. Ils sont nommés à la majorité absolue parmi tous les soldats du bataillon et par tous les soldats de la compagnie. Ici le principe de l’élection joue seul. Au contraire, pour les grades et emplois supérieurs, l’élection intervient peu ou point. L’emploi du chef de brigade (celui qui s’appelait naguère colonel et qui est, en réalité, le commandant de la demi-brigade) doit être donné à celui des chefs de bataillon qui est le plus ancien par date de commission en cette qualité. Ainsi, en fait, le chef de la demi-brigade a bien été désigné en quelque mesure, puisque c’est un des bataillons de la demi-brigade qui, en le nommant chef de bataillon, lui a par là même ouvert éventuellement le commandement de la demi-brigade. Mais ce n’est pas l’élection directe, et la désignation, ainsi automatiquement faite par l’ancienneté entre des officiers recrutés d’ailleurs jusque-là selon la loi dominante du choix, ne permet aucun intervalle, aucune hésitation et aucune intrigue entre la disparition du chef ancien et l’apparition du chef nouveau. Au-dessus du grade de chef de brigade, c’est-à-dire pour les généraux de brigade, pour les généraux divisionnaires et pour les généraux en chef, c’est le pouvoir exécutif, représentant l’ensemble de la République, qui intervient. Pour les généraux de brigade et les généraux divisionnaires, un tiers est donné à l’ancienneté, deux tiers au choix, par le ministre de la guerre pour les généraux de brigade, et par le Conseil exécutif pour les généraux de division. Les généraux en chef sont choisis par le Conseil exécutif parmi les généraux divisionnaires sous la ratification expresse de l’Assemblée nationale ; et c’est encore l’élection, mais par la nation toute entière concentrée en ses représentants.

Chose curieuse ! Aujourd’hui, au commencement du vingtième siècle, les réacteurs militaires, ceux qui veulent remplacer, par une armée hybride et semi-prétorienne où domineraient les rengagés et les stipendiés, l’armée nationale et démocratique évoluant lentement vers le système des milices, ceux-là osent faire appel, en faveur de leur thèse, aux conceptions de Dubois-Crancé, aux souvenirs de l’amalgame. C’est devenu maintenant la tactique de la contre-révolution d’invoquer les formules de la période révolutionnaire. Les réacteurs invoquent les Droits de l’homme, c’est-à-dire l’affirmation souveraine de la personne humaine, pour maintenir les institutions théocratiques qui en sont la négation. Ils évoquent les principes de la Révolution française pour sauver les congrégations, que la Révolution supprima, et pour leur livrer l’enseignement d’où elle les exclut. Et ils invoquent de même l’œuvre admirable des Conventionnels de 1793, nationalisant et démocratisant l’armée, pour instaurer une armée d’oligarchie et de métier qui serait pour la démocratie et pour la nation un péril mortel. Par quelle prodigieuse dénaturation et sophistication, il est à peine besoin de l’indiquer. Ils demandent qu’une masse