Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/152

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garantie de bien-être, mais c’est un fragment d’une terre libre, c’est un fragment de liberté que recevait le soldat de la Révolution.

La loi précisa qu’une somme de 400 millions serait réservée sur les biens nationaux à vendre, pour assurer le service des pensions aux soldats.

Mais c’est surtout par l’ardeur d’un souffle héroïque que la Révolution suscitait des armées. La Convention oublia un moment ses divisions et ses haines pour résumer en un magnifique appel toute l’âme de la patrie nouvelle. C’est Isnard qui, « dans un accès d’enthousiasme patriotique », écrivit cette page immortelle adoptée, acclamée par toute la Convention. Jamais la passion de l’universelle liberté et de la gloire impérissable ne vibra en paroles plus éclatantes et plus exaltées. En phrases courtes, rapides, amples par la continuité du mouvement et comme entraînées d’un élan de victoire, Isnard anime au combat tous les citoyens de France. Oui, la coalition est formidable, oui « la France libre doit lutter seule contre l’Europe esclave. » Mais « la fortune sourit à l’audace et la victoire au courage. Nous en appelons à vous, vainqueurs de Marathon, de Salamine et de Jemmapes. »

Qui donc pourrait supporter la pensée que la liberté peut disparaître ? Qui donc pourrait tolérer le retour de l’ancien régime ? Non, non : « toute la France sera un camp, toute la nation sera une armée. Que l’artisan quitte son atelier, que le commerçant suspende ses spéculations ; il est plus pressant d’acquérir la liberté que la richesse. Que les campagnes ne retiennent que les bras qui leur sont nécessaires : avant d’améliorer un champ, il faut l’affranchir. »

Ce n’est pas pour elle seule que lutte la France : elle porte l’avenir et les destins du monde.

« Jamais cause pareille n’agita les hommes et ne fut portée au tribunal de la guerre. Il ne s’agit pas de l’intérêt d’un jour, mais de celui des siècles, de la liberté d’un peuple, mais de celle de tous. »

Quelle tristesse infinie, quelle chute de toute la race humaine si la Révolution libératrice est vaincue ! Et quelle honte pour la France si elle n’a pas su la sauver !

« Votre défaite couvre la terre de deuil et de larmes. La liberté fuit ces tristes contrées, et avec elle s’évanouit l’espérance du genre humain… Longtemps après que vous ne serez plus, des malheureux viendront agiter leurs chaînes sur vos tombeaux et insulter à votre cendre. Mais si vous êtes vainqueurs, c’en est fait des tyrans ; les peuples s’embrassent, et honteux de leur longue erreur, ils éteignent à jamais le flambeau de la guerre. »

Que la France proportionne donc son effort à l’immensité du devoir et de l’espérance ! Que toutes les divisions secondaires s’effacent pour que tout l’effort de la patrie sauve l’avenir :

« Quelles que soient vos opinions, votre cause est commune : nous sommes tous passagers sur le vaisseau de la Révolution ; il est lancé, il faut qu’il