Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/302

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nobles à peine convertis d’hier par l’égoïsme et la peur, comptaient davantage sur les fanatiques de la plèbe.

L’ancien receveur des gabelles, Souchon de Machecoul, le perruquier Gaston de Saint-Christophe-du-Ligneron, le garde-chasse au service de Maulévrier, Stofflet, le colporteur exalté et dévot du Pin-en-Mauge, Gathelineau, étaient les hommes du clergé, et ils ne se souciaient pas de se livrer à discrétion aux nobles : ils ne marchèrent d’abord qu’avec cette petite noblesse « de peu de fortune et de peu de race » qui ne leur portait pas ombrage.

Baudry d’Asson, notamment, sortit du souterrain où il se tenait caché, près de la Forêt-sur-Sèvre, depuis l’affaire de Bressuire, et se mit en campagne avec les plébéiens.

Mais les cléricaux se moquent quand ils représentent le mouvement vendéen comme « radicalement populaire », et les documents recueillis par M. Chassin font la lumière décisive. Oui, les prêtres faisaient directement appel aux paysans, oui, ils ne voulaient ni abandonner toute la direction aux nobles ni produire ceux-ci trop tôt. Mais le clergé savait bien que l’insurrection ne pouvait aboutir qu’à la restauration du régime ancien où le privilège de la noblesse aurait sa place. Il savait bien que la noblesse, avilie et matée par la Révolution, comprendrait désormais la nécessité de faire cause commune avec les prêtres. Et il se rendait compte que le mouvement, à mesure qu’il s’étendrait et s’organiserait, passerait aux mains des nobles. En fait, le clergé servait d’intermédiaire tout puissant entre la noblesse encore masquée et le peuple. Dans l’apparente spontanéité du mouvement il y a d’emblée une organisation, un plan, et quoique la colère des paysans ait devancé le signal, quoique la vaste et soudaine insurrection préparée par les chefs secrets de l’Ouest, par le clan des confidents de la Rouerie, ait éclaté de façon un peu hâtive et incohérente, les traces d’une pensée directrice s’y retrouvent dès le début. Mercier du Rocher l’a noté avec beaucoup de précision et de force.

« Il ne faut que rapprocher les dates des combats pour se convaincre que le plan des rebelles était combiné. Ils attaquaient sur plusieurs points à la fois. Ils étaient, le 10, à Coueron, à Mauves, à Saint-Philbert, à Clisson ; ils y furent battus le 12 par les Nantais, tandis qu’ils attaquaient nos troupes à Saint-Hilaire-la-Forêt, à Machecoul, à Challans, à Montaigu, à Saint-Fulgent. Le 14, ils s’emparent de Cholet, repoussent les patriotes à Chantonnay et aux Herbiers. Les 12, 13, 14, 15, 16, les Nantais faisaient des sorties sur eux par les routes de Rennes et de Paris ; tandis que le 15 les Brigands, s’étant ralliés après leur défaite de Clisson, tombaient sur les gardes nationales, et les harcelaient pendant cinq lieues. Le 17, l’armée de Nantes fit une sortie générale et repoussa les rebelles, leur tua beaucoup de monde au pont du Cens, ce qui rouvrit la communication avec Rennes. Le même jour, les Brigands se montrèrent sur les hauteurs de Chantonnay, d’où le général Marcé les dé-