Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/51

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toutes les nations de l’Europe, quoi qu’on en dise, sont encore esclaves. Bien loin qu’elles songent à nous imiter, en secouant elles-mêmes le joug qui les flétrit, elles ont peine à recevoir le présent que nos armées leur portent.

« Nos principes sont un aliment de forte digestion, dont leurs organes sont en quelque sorte surchargés. Voyez ce qui s’est passé à Francfort ; voyez ce qui se passe dans l’évêché de Trêves, dont les paysans trahissent journellement nos soldats ; dans le Brabant, qui regrette ses prêtres, qui craint pour ses momeries monacales, et qui finira peut-être par nous traiter en ennemis de la divinité, parce que nous avons proscrit les turpitudes ultramontaines.

« Songez aux calomnies répandues contre nous chez l’étranger ; à cette étonnante prévention inspirée aux soldats ennemis qui craignent de se rendre dans nos camps, de peur que nous les traitions en cannibales ; songez aux moyens puissants que les despotes ont d’empêcher la circulation de nos principes, et demandez-vous froidement, et sans enthousiasme, si la révolution du genre humain est aussi prochaine qu’on nous l’annonce. Non, les peuples sont dominés encore par le despotisme sacerdotal, et par tous les préjugés qui les attachent à leurs tyrans. »

Oui, mais ces prophéties magnifiques et décevantes, qui donc les avait faites, sinon les Girondins eux-mêmes ? C’est contre les décrets enthousiastes et dangereux du 19 novembre et du 15 décembre que devaient être dites ces paroles de prudence et de vérité. Et quel crédit pouvaient avoir ceux qui, ayant d’abord voulu constituer « le pouvoir révolutionnaire universel », proclamaient maintenant, dans l’intérêt apparent du roi, la banqueroute de cette propagande universelle ?

Brissot lui-même insiste sur les dispositions hostiles que les tyrans ont réussi à créer contre la France de la Révolution :

« Je l’ai déjà dit, dans nos débats, nous ne voyons pas assez l’Europe ; nous voyons trop ce qui nous entoure. Pleins de confiance dans la pureté de nos motifs et dans la bonté de nos décrets, nous laissons au temps le soin de détruire les calomnies, de détromper les peuples sur tous les mensonges qu’on répand contre nous.

« C’est pourtant avec cette opinion mensongère, avec ces calomnies atroces que les rois parviennent à détacher les peuples de notre Révolution, à leur inspirer de l’horreur pour le gouvernement républicain, et même à les armer contre nous… Le ministère anglais nous a peints comme des cannibales ; il a tapissé les villes et les campagnes des tableaux les plus hideux, et malheureusement les plus ressemblants, des massacres des 2 et 5 septembre… Faire ici le tableau de la comédie jouée par les machiavélistes qui dirigent l’Angleterre, c’est peindre les forfaits de presque toutes les puissances de l’Europe. »

Ah ! sans doute, il serait injuste d’enfermer Brissot, à jamais, dans la témérité de son premier enthousiasme. Il serait injuste et insensé de lui