Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/87

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relle avec le Conseil (exécutif) venait d’éclater. Il était entendu que si Dumouriez donnait sa démission, son armée reviendrait aussitôt à Valenciennes et l’on aurait profité de cela pour faire un coup de main dont l’influence se serait étendue sur toute la France. »

Chose curieuse : c’est au profit de la Montagne le plan que Dumouriez adoptera contre elle quelques mois plus tard. Je ne crois pas que le projet de coup d’État montagnard, signalé ici par le représentant des États-Unis en France, ait jamais atteint ce point de maturité. Gouverneur Morris, très éveillé, donnait à des bruits de clubs qu’il recueillait par des échos de salon plus de consistance et de valeur qu’il ne convenait. Mais il y a là tout au moins des rêves sinon des velléités. Dumouriez avait été en lutte, au sujet de l’invasion immédiate proposée par lui en Hollande, avec le ministre Lebrun et avec la majorité du Conseil exécutif. Que les Jacobins aient songé à exploiter ce mécontentement, c’est bien probable. Mais comment, en janvier encore, et quand se débattait le sort du roi, ces communications prolongées entre des Jacobins ou Montagnards et Dumouriez auraient-elles été possibles si Dumouriez avait donné l’impression qu’il voulait sauver Louis XVI ? Comment, le 27 janvier, au lendemain même du départ de Dumouriez, et quand des indices multiples auraient certainement trahi une campagne politique de vingt-six jours, comment Desfieux aurait-il pu, sans être accablé sous les huées, indiquer aux Jacobins à quelles conditions Dumouriez viendrait parmi eux et leur suggérer en quelque manière le sacrifice de Marat au profit du général ? Non : Dumouriez ne s’était pas découvert à fond ; lui-même sans aucun doute n’avait encore aucun plan arrêté, sinon celui de se sauver lui-même à tout prix et par tous les moyens.

Ainsi, ni le séjour prolongé fait par Danton à l’armée de Dumouriez, ni sa complaisance pour le génie vivant et rapide de celui-ci, n’avaient pu fausser ou gêner la pensée du grand révolutionnaire. Il y avait un point sur lequel il était d’accord avec Dumouriez : c’était sur la nécessité d’envahir sans délai la Hollande pour y organiser la Révolution. C’était pour Danton le moyen d’assurer la possession de la Belgique, c’était aussi le moyen de frapper dans ses intérêts commerciaux l’Angleterre dont il n’espérait plus empêcher les hostilités prochaines et qu’il aurait voulu prévenir par un coup hardi. Dumouriez, lui, avait un tout autre but. Il voulait renouveler, par des victoires en quelque sorte toutes fraîches, son prestige militaire, de façon à faire tourner ce prestige accru à l’intérêt de son ambition, ou tout au moins à sa sécurité. Il espérait aussi secouer le joug pesant des bureaux de la Guerre et des comités de la Convention qui, dans la période active de la guerre, laisseraient nécessairement plus d’initiative au général.

Mais, qu’importaient alors à Danton les arrière-pensées ambitieuses et vaniteuses de Dumouriez, que sans doute il démêlait en partie ? Il se croyait assez fort pour en avoir aisément raison ; et les incohérences politiques de