Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/314

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Le travail dans les prisons, couvents et ateliers militaires. — Les ouvriers, bien que leurs intérêts fussent sur ce point d’accord avec ceux de leurs patrons, ne furent pas plus heureux dans leurs réclamations contre la concurrence redoutable des établissements, où des travailleurs soumis à une discipline, à une claustration, à une façon de vivre particulières pouvaient produire à meilleur marché. Ces établissements étaient de trois sortes : prisons, couvents, casernes. Le Gouvernement provisoire, par un décret du 24 Mars, suspendait le travail dans les prisons et dans les ateliers militaires : il annonçait en termes vagues que, dans les établissements dits de charité, les choses seraient réglées de façon à ne plus nuire au travail libre. Il donnait pour motif les spéculations auxquelles prêtait le régime des prisonniers, qui, condamnés au labeur forcé, jouaient le rôle d’esclaves exploités au profit d’un entrepreneur adjudicataire de leurs produits ; puis les salaires avilis auxquels tombait en particulier le métier de couture, quand il avait à se débattre contre les travaux à l’aiguille exécutés à vil prix dans les ouvroirs et les orphelinats.

Le décret ne fut pas appliqué dans les casernes, où les compagnies hors rang furent maintenues sur les représentations des généraux, ni dans les maisons religieuses, qui, sans payer patente, continuèrent à faire du commerce sous le couvert de la charité, excepté là où elles furent fermées violemment par les ouvriers, comme à Lyon, ou par la garde nationale bourgeoise, comme à Reims. Il fut exécuté dans les prisons. Mais les directeurs des Maisons centrales ne tardèrent pas à réclamer ; on était tombé d’un mal dans un autre ; les prisonniers, condamnés à l’oisiveté, étaient plus difficiles à mener ; les frais devenaient plus considérables pour l’État, parce que jusqu’alors une partie de ce que gagnaient les détenus était affectée à leur entretien. Sur ces réclamations brochaient les plaintes intéressées des entrepreneurs privés des bonnes affaires qu’ils faisaient, quand ils avaient à leur disposition des ouvriers très peu payés et des locaux gratuits.

Dès le 18 août 1848, un projet fut déposé pour revenir en arrière. Mais les intérêts opposés se livrèrent un combat acharné. Ouvriers, fabricants, Chambres de commerce protestaient contre cette concurrence à armes inégales. La prison se transformait en une école d’apprentissage, d’où sortaient des hommes et des femmes qui faisaient baisser les salaires des métiers qu’on leur avait enseignés. Les entrepreneurs, dotés d’un véritable privilège, arrivaient à faire confectionner des chemises à 25 centimes pièce. On citait à Paris une fabrique de finette qui n’avait pu lutter contre la Maison centrale de Melun, et les ébénistes du faubourg St-Antoine mis à mal par celle de Poissy. À Troyes, le nombre des pauvres assistés avait passé de 3.500 à 6.000 et l’on attribuait cette augmentation au voisinage de la prison de Clairvaux. Un seul ordre de religieuses jetait en un an sur le marché 400.000 francs de travaux qu’il écoulait à des prix très bas. Schadcher fit valoir aussi des considérations d’humanité. Les détenus de Nîmes, mal nourris et occupés au cardage