Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/318

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depuis six mois dans la circonscription. Désireux de réaliser la collaboration et la conciliation des classes, il voulait que les deux groupes en présence fussent représentés par un nombre égal de délégués et que la présidence appartînt tour à tour à l’un et à l’autre. Il demandait encore que le vote fût double pour l’élection des prudhommes, c’est-à-dire que les délégués patronaux fussent choisis par les ouvriers sur une liste de candidats établie par les patrons, que les délégués ouvriers fussent choisis par les patrons sur une liste établie par les ouvriers. Le projet ne se bornait pas là. Il visait à créer toute une organisation judiciaire et même administrative en matière économique. Il devait y avoir dans toute commune où les intéressés le demanderaient un Conseil spécial, qui réglerait sans frais les arbitrages et contestations auxquels pourrait donner lieu son groupe d’industrie. Les villages n’étaient point exceptés et il fut question de prudhommes agricoles au Comité des travailleurs. Il y eut même à la Législative (27 mars 1851) une proposition ferme de Nadaud, Greppo et Colfavru pour qu’il en fût créé une catégorie comprenant les ouvriers des champs et ceux des professions jusqu’alors restées en dehors de cette justice exceptionnelle. La proposition fut d’ailleurs repoussée. Mais, pour en revenir au projet de Flocon, au-dessus des Conseils spéciaux et sortis d’eux par élection, on prévoyait des Conseils de famille qui fonctionneraient comme Cours d’appel, comme bureaux de placement, comme offices de renseignements sur les conditions du travail, comme agents de correspondance avec l’autorité, comme dépôts des marques de fabrique[1].

Le projet parut ambitieux. Il ne fut accepté du Comité des travailleurs qu’en partie ; il arriva devant la Constituante amputé de tout ce qui devait élargir la compétence des Conseils. On sacrifiait au désir d’aboutir vite. Pour être électeur, il fallait avoir vingt et un ans, six mois de résidence ; pour être éligible, vingt-cinq ans d’âge et un an de domicile ; l’Assemblée ajouta l’obligation de savoir lire et écrire. Deux points surtout furent contestés. Ferrouillat, représentant du Rhône, et la plupart des représentants ouvriers demandèrent que les délégués de chaque groupe fussent désignés directement par ce groupe ; que l’antagonisme réel des intérêts ne fût pas masqué par une conciliation anticipée et apparente qui pourrait fausser le résultat des élections. Cependant le mode électoral compliqué que Flocon avait proposé l’emporta. L’autre question litigieuse fut la place qu’occuperaient les contremaîtres et les chefs d’ateliers. Voteraient-ils avec les ouvriers, auxquels ils appartenaient par leur origine, ou avec les patrons, dont ils étaient les hommes de confiance et les fondés de pouvoir ? C’est ce dernier parti qui fut adopté. On stipula seulement qu’ils ne pourraient former plus d’un quart de la délégation patronale. Un décret ministériel du 6 juin 1848 ajouta des dispositions supplémentaires pour certaines villes, comme Lyon, Nîmes,

  1. Il y eut un projet spécial, en 1851, sur les marques de fabrique.