Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/349

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n’était pas sans opposition, et plus d’un financier ne cachait pas l’espoir que l’institution serait provisoire comme le Gouvernement lui-même. Mais ils répondaient trop à un besoin urgent pour être sérieusement menacés. Dès 1849, ils étaient au nombre de 67, représentant 110 millions de capital ; ils avaient escompté 385 millions d’effets : ils avaient encaissé 800 millions.

On fit davantage ; on imagina un ingénieux moyen pour suppléer à la seconde signature, qui pouvait être souvent dure à obtenir pour un commerçant dans l’embarras. On créa des sous-comptoirs (il y en eut à Paris seulement) qui acceptaient en nantissement des marchandises, des titres, des valeurs solides. Cela entraînait la fondation de Magasins généraux, vastes Monts de piété, où étaient entreposés soit les matières premières soit les objets fabriqués qui étaient destinés à servir de gages. (Il y en eut 4 à Paris, 51 en province). Les marchandises étaient expertisées et représentées par un récépissé qui remplaçait à la Banque la troisième signature exigée et la seconde aux Comptoirs d’escompte. En cas de non-remboursement de l’avance, le gage pouvait être vendu aux enchères et au profit de l’établissement qui l’avait consentie. Cette innovation était un emprunt aux théories socialistes du temps, emprunt incomplet d’ailleurs ; car Louis Blanc aurait voulu que les récépissés ou warrants des marchandises ainsi engagées devinssent une valeur négociable, un véritable papier monnaie, une sorte d’assignat privé. L’État, moyennant un droit qui aurait été pour lui une grosse source de revenus, se serait chargé de vendre, dans des bazars ouverts et administrés sous sa surveillance, les objets dont on lui confiait la garde. On eût ainsi supprimé entre le consommateur et le producteur les intermédiaires, qui font que les prix triplent ou quadruplent en passant du gros au détail. On eût du même coup donné aux travailleurs dans la gêne les moyens d’attendre la vente de leurs produits et de continuer à travailler en attendant. Mais l’État vendeur de toute espèce de choses, cela paraissait énorme à des gens imbus de la doctrine du Laissez faire. On s’en tint à une demi-mesure qui ne donna pas de résultats très sérieux. En effet, la perspective de vendre aux enchères les produits entreposés n’était pas de nature à rassurer les sous-comptoirs d’escompte. On sait combien une chose ainsi vendue à la criée perd de sa valeur. Le secours ne fut donc utile qu’aux producteurs ou aux détenteurs de certains produits qui ne pouvaient ni se gâter ni se trop déprécier. Telle quelle, l’institution, aidée par l’État (500,000 francs furent prêtés sans intérêts pendant trois ans par le Trésor au sous-comptoir des entrepreneurs du bâtiment), rendit des services et elle démocratisa en partie le crédit, qui ne fut plus un leurre, je ne dis pas pour l’ouvrier, mais pour le moyen commerçant et le petit fabricant.

Cependant il s’en fallait que le commerce fût rentré dans ses conditions normales (on dut proroger par trois fois les échéances. Il s’en fallait aussi que la Banque fût hors d’affaire. Le 15 Mars, son encaisse à Paris était