Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/380

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suffire à ces paiements échelonnés et il rompit ses engagements.

Un grand emprunt national était alors possible, un emprunt qu’on n’aurait point adjugé cette fois à un gros banquier, mais qu’on aurait fait couvrir par une souscription populaire. C’eut été la France nouvelle subvenant volontairement aux frais de sa transformation. L’enthousiasme républicain des premiers jours pouvait ainsi se monnayer, pourvu qu’on lui offrît une souscription à des conditions raisonnables. Plusieurs membres du gouvernement, Lamartine parmi eux, demandaient cet appel direct à la confiance publique. Hélas ! Garnier-Pagès, dont le principal titre à sa fortune politique était d’être le frère d’un bon militant mort avant la victoire, laissa passer le moment propice. Il était, lui aussi, timoré, peu inventif ; il n’avait pas en la cause qu’il servait la foi qui crée l’audace ; il avait écrit, le 25 Février, à Odilon Barrot : « Les fous que vous savez viennent de proclamer la République. » Il n’osa pas ou du moins il osa timidement. Il restait 100 millions à souscrire sur l’emprunt voté en novembre 1847. Garnier-Pagès les appela (le 9 Mars), offrant en échange de la rente 5 0/0 au pair. Or la rente se vendait à ce moment de 60 à 50 francs. L’offre d’en acheter à 100 francs ne pouvait être acceptée que par dévouement. « Ce n’est pas une opération financière, disait le ministre, c’est une mesure politique. » Mais les capitalistes auxquels il s’adressait n’avaient aucune envie de créditer à perte une République qui menaçait leurs privilèges ; l’emprunt ne produisit qu’un demi-million environ ; et le péril croissait toujours.

Des moyens révolutionnaires furent proposés. On parla de confisquer les biens de la famille d’Orléans ; les princes déchus étaient sans doute les plus grands propriétaires de France ; mais on n’était plus au temps où la Révolution déclarait biens nationaux les terres et châteaux des émigrés. Un banquier, Delamarre, aurait eu, dit-on, l’idée d’un emprunt forcé sur les plus riches capitalistes ; il aurait même apporté au ministre la liste des plus opulents. Un autre banquier, Achille Fould, aurait été d’avis de recourir à l’expédient que le roi Louis XIV pratiquait sans scrupule, quand il retranchait aux rentiers un ou deux « quartiers », c’est-à-dire de suspendre pendant un ou deux trimestres le paiement de la dette publique. C’eût été une banqueroute partielle, frappant à son tour la classe aisée. On avait, dans l’affaire des caisses d’épargne, décrété la pareille pour la classe pauvre : mais celle-ci parut chose abominable. Personne ne voulut, plus tard, avoir conçu pareils desseins. Démenties par leurs auteurs, mais attestées par des témoins nombreux et graves, ces démarches n’avaient en tout cas aucune chance d’être agréées par Garnier-Pagès. Il renonçait même pour le moment à l’impôt sur le revenu, qui, disait-il, était trop long à organiser.

Dans cette détresse l’on s’amusait à de puériles parades ; on mettait un impôt sur les voitures de luxe, les domestiques et les chiens ; on recueillait des offrandes patriotiques qui étaient apportées en grande pompe à l’Élysée,