Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/384

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frappait ceux qui ne fréquentaient pas les cabarets et du même coup tous les pays vignobles. Des réclamations vinrent bientôt d’une multitude de communes. La perception du nouvel impôt dut être çà et là suspendue. Encore une fois, sans même sans s’en douter, le Gouvernement provisoire favorisait les citadins aux dépens des ruraux.

Son autre décret qui ne visait que Paris, qui faisait brèche au système des octrois, semblait de nature à contenter à la fois les ouvriers qui avaient intérêt à payer la viande bon marché et les éleveurs qui avaient avantage à en voir augmenter la consommation dans la capitale. Mais il produisit un tout autre résultat, parce qu’il était incomplet. La boucherie à Paris était alors constituée en monopole, et même, comme au moyen âge, des bouchers capitalistes achetaient et faisaient abattre les bêtes en laissant à des bouchers moins riches le soin de les détailler, si bien que le public devait payer le surcroît de frais causé par cette interposition d’intermédiaires entre le gros et le détail. Les bouchers privilégiés, protégés contre la concurrence, ne baissèrent pas leurs prix, sinon pour les morceaux de première qualité ; les ouvriers dans les restaurants continuèrent à payer leur portion 35 centimes et n’eurent pas, comme on le leur avait fait espérer, la vie plus facile.

Il ne faut certes pas oublier, quand on juge cette politique fiscale les immenses difficultés à travers lesquelles elle se développa. Elle tâcha de prendre « en flagrant délit », comme on l’a dit, le seul numéraire qu’elle put saisir. Il ne faut pas oublier non plus que ces gouvernants improvisés restèrent purs de toute souillure d’argent. Les insinuations et calomnies que certains journaux lancèrent contre Crémieux et Lamartine ne méritent que le mépris, et l’histoire devrait avoir un pilori pour ces fabricants de mensonges qu’elle amnistie trop aisément. La plupart de ces hommes qui avaient été durant quatre mois les maîtres de la France moururent pauvres, très pauvres, et l’on ne peut exprimer qu’un regret, c’est que leur habileté financière n’ait pas été à la hauteur de leur inattaquable honnêteté. Mais, cela dit, il faut bien reconnaître que leur façon de résoudre un problème angoissant fut incohérente en même temps que routinière, et trahit par ses à-coups les tiraillements dont a pâti toute la conduite du Gouvernement provisoire. Il faut avouer encore qu’elle a trop souvent sacrifié les campagnes aux villes, enfin qu’elle a laissé perdre un temps précieux sans amorcer, en cette matière, une seule des grandes réformes démocratiques qu’annonçait le programme républicain.

La question financière resta la grosse pierre d’achoppement pour les gouvernements qui se succédèrent à la tête de la République. Elle était le point le plus vulnérable du nouveau régime. C’est aussi sur ce point que ses adversaires concentrèrent leurs attaques. Du Comité des finances, devenu leur citadelle, il s’acharnèrent à lui refuser les moyens de vivre. Quentin-Bauchart fit inscrire dans la Constitution que la République se proposait « d’augmenter