Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/90

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et du Ministre de la Guerre. Point de rappel, point de patrouilles pour entraver la marche de ces bandes populaires qui crient : Vive Barbès ! Vive Napoléon ! On ne part pas ! — Rien encore, le lendemain matin 23 juin, pour empêcher le solennel pèlerinage de cette foule à la colonne de la Bastille, devant laquelle, invoquant à genoux les héros de juillet 1830 et de février 1848, elle s’écrie tragiquement : La Liberté ou la Mort ! — Vers 10 h. 1/2 des barricades s’élèvent, surmontées ici des bannières tricolores des Ateliers nationaux, ailleurs de drapeaux rouges ou blancs. Vers midi, tout l’Est de Paris en est déjà hérissé ! La guerre sociale est déclarée, commencée. La parole est au canon.



CHAPITRE VIII


LES JOURNÉES DE JUIN 1848


Il n’entre pas dans le cadre de cet ouvrage de raconter les épisodes héroïques ou sauvages, ni de détailler les opérations militaires qui remplirent cette bataille de trois jours dans les rues, de Paris. Nous n’avons qu’à en marquer le caractère social et les conséquences.

Il nous suffit donc de dire que le Gouvernement, incertain du succès, mais certain d’avoir à craindre ses auxiliaires autant que ses adversaires, se résigne, la mort dans l’âme, à engager le combat ; que, dès lors, la haute main passe aux militaires ; que la garde nationale, pleine d’ardeur dans les quartiers riches, mais tiède ou favorable aux insurgés dans les quartiers pauvres, est la première à donner et se bat bientôt avec ce qu’on a nommé l’héroïsme de la peur ; que la garde mobile, d’abord hésitante, mais « habilement compromise par Lamoricière » se décide à marcher à fond contre la population ouvrière dont elle est tirée ; que l’armée, massée autour de l’Assemblée, reste longtemps l’arme au pied, réservée pour un grand mouvement d’ensemble, et que certains corps refusent de tirer sur le peuple ; que l’inquiétude est par suite assez grande pour qu’on songe, sur le conseil de Thiers, à se retirer sur Versailles d’où l’on reviendrait assaillir Paris, une idée fixe que Thiers avait émise dès février 1848 et qu’il finira par réaliser en 1871.

Que fait cependant la Chambre durant cette première journée ? Pendant que plusieurs de ses membres vont et viennent entre les insurgés et les troupes elle reprend son ordre du jour : la discussion du rachat des chemins de fer. Elle en profite même pour ajourner un projet déposé par Trélat, sur la prière du maire de Lyon, et destiné à ouvrir un débouché aux ouvriers de cette ville, en autorisant la construction de la voie ferrée entre Collonges et Châlon. Puis Falloux reparaît avec un rapport au nom de la Commission parlementaire des Ateliers nationaux. « Elle a, dit-il, continué de délibérer avec le calme le plus parfait. » Mieux eût valu sans doute un peu moins de calme et un peu plus d’esprit fraternel. Dupont de Bussac s’est retiré de la