Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/107

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politique de cette chambre éphémère, non l’intention qui expire avec elle, mais l’acte dont nous profitons encore.

Les chambres de la Restauration n’ont pas seulement créé l’instrument précieux du contrôle financier, elles ont été le berceau de l’éloquence parlementaire. La Révolution n’avait pas eu le temps, dans son labeur immense, de bâtir sur le sol nivelé par elle une tribune durable. Et, à dire le vrai, ce n’était pas, à proprement parler, l’éloquence parlementaire qui était née avec elle. À part Danton et Guadet, à part quelquefois Vergniaud, tous les « orateurs » lisaient leurs discours. Et il faut bien reconnaître aussi que si, à la lecture, nous nous soustrayions au temps, si nous ne voyions pas sur la tribune se prolonger l’ombre de l’échafaud, nous taxerions souvent d’emphatique une rhétorique qui se sauve par l’héroïsme.

La Restauration, dès ses débuts, ne put faire mieux. L’Empire avait été le bâillon de la France. On s’était déshabitué de parler, d’écrire, d’entendre, même de penser et le flambeau se serait presque éteint si, de l’étranger, madame de Staël, Benjamin Constant, ne l’avaient tenu au-dessus des tempêtes guerrières. Quels étaient les députés des premières chambres, qui, surpris de se rencontrer, venaient délibérer en commun ? C’étaient des revenants de la Révolution, Royer-Collard, Camille Jordan, eux aussi accoutumés à la lecture oratoire, ou des hommes nouveaux, qui n’avaient pu, dans la déchéance de la liberté, jeter leur jeune parole aux vents des places publiques. Ceux-là aussi lisaient. Et tous considéraient avec admiration Benjamin Constant, à cause de ce don singulier qui lui permettait, en écoutant un adversaire, d’écrire une réfutation et de la lire immédiatement. Le général Foy aurait préféré monter encore au mont Saint-Jean que d’escalader la tribune sans la cuirasse en papier de ses discours. Aussi ce fut une surprise, un événement historique, quand, armé de simples notes, très prêt certes, mais sans aucune lecture, M. de Serre se risqua à parler. C’est de ce jour qu’est née vraiment l’éloquence parlementaire, par la voix de l’homme éminent, certes, qu’une courageuse initiative cependant a un peu trop permis d’exalter. L’exemple fut suivi.

Nous ne voulons pas refuser par là le mérite de l’éloquence aux hommes de la Restauration. Il n’y a pas d’éloquence que dans le discours, mais sans discours, il n’y a pas d’éloquence parlementaire. Certes il restera de cette époque, où la France meurtrie, à genoux, cherchait la liberté dans les ténèbres et s’essayait à parler, des pages incomparables et éclatantes, des leçons de philosophie politique dues à Royer-Collard, des apostrophes dues au général Foy. On leur a reproché, comme à tous les hommes de ce temps, la redondance et la métaphore. Cela est vrai, et cette éloquence est souvent alourdie d’inutiles richesses, mais elle tient moins à l’époque qu’aux problèmes posés. Or, comme sous la Révolution, il fallait définir des idées générales, résoudre, ou en tout cas poser, de hautes questions morales et phi-