Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/142

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ce fut lui qui, le 22 février, proposa la discussion. Malgré M. Decazes, le développement de la proposition fut remis au 26 février : ainsi le cabinet était vaincu. Ce fut bien mieux quand vint, au milieu de l’émotion générale, le 26 février, le débat sur le fond. M. Decazes, MM. de la Rochefoucault-Liancourt, de Lally-Tollendal, défendirent la loi. Ils représentèrent que le calme qui régnait allait être troublé par cette agression injustifiée. Rien ne tint devant les colères liguées contre le cabinet. Par 98 voix contre 55, le roi « fut humblement prié » de modifier la loi. Le 4 mars qui suivait, sans même vouloir l’étudier, la Chambre des Pairs écartait la réforme financière du baron Louis.

C’était la guerre : M. Decazes était allé trop loin pour reculer. La Chambre des Pairs lui était hostile : il y noya ses adversaires sous une fournée de 64 pairs nouveaux, généraux ou revenants du premier Empire, dispensés du majorat pour pouvoir siéger tout de suite et dont le vote lui était acquis. Ce coup de force qui avait raison de la majorité rétrograde et qui dispensait un cabinet d’avoir raison ou lui épargnait, avec l’incertitude des combats, l’amertume des défaites, accrut naturellement la colère des ultras comme il accrut l’enthousiasme libéral. Si jeune était le parlementarisme que l’on acceptait encore, comme le naturel exercice d’une prérogative respectable, cet abus qui rendait mensongère toute discussion et vain tout résultat.

Puis, M. Decazes se retourna du côté de la Chambre : il avait hâte d’y trouver une revanche nécessaire à son crédit politique. Il l’y trouva. La discussion sur la proposition Barthélémy souleva un des plus violents orages qui se soit abattu sur une assemblée. L’impudence de M. de Villèle en fut cause. Il voulut démontrer que la loi autorisait la fraude et cita à l’appui de sa thèse le département du Gard comme ayant eu un nombre d’électeurs plus élevé en 1817 qu’en 1815. M. de Saint-Antoine, député de Nîmes, bondit à la tribune, comme souffleté par un outrage : « Je vais vous donner la raison de cette différence : en 1815, les électeurs protestants furent menacés de mort par les assassins de Nîmes et, en 1817, ils ont pu voter librement ». Ce souvenir de la Terreur blanche souleva les émotions et les colères dormantes.

Les apostrophes se croisent et M. de Villèle, qui restera, comme maire de Toulouse, responsable de l’assassinat du général Ramel, se sent visé. « On aurait dû poursuivre les coupables », dit-il. Cynique imposture ! Il savait bien pourquoi ils étaient impunis et, au surplus, que n’avait-il, lui maître de la majorité, réclamé des poursuites ? Le 23 mars, M. de Serre, ministre de la Justice, répond. Il rappelle les crimes, les meurtres, les pillages, il conduit dans ce Midi ensanglanté son auditoire haletant, et il énumère les arrêts de justice innocentant Trestaillon et les assassins de Ramel. Sous cette parole qu’anime un feu contenu, la Chambre est au paroxysme : elle vote la loi électorale oubliée et la maintient par 150 voix contre 94 : la majorité était formée des royalistes ministériels et des indépendants.