Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/20

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marches de Paris, ils ne savent quelle conclusion politique, peut-être, quelle conclusion militaire ils donneront à une campagne dont cependant l’issue ne leur paraît pas douteuse.

À la vérité, les alliés étaient d’accord sur Napoléon, point d’accord sur son successeur. Et cette oscillation perpétuelle, cette absence de plan positif, tout cela avait déjà communiqué, non seulement à leur diplomatie, mais à leur action militaire, une hésitation dont Napoléon ne sut pas se servir.

C’est à ce moment précis que les diplomates de la coalition reçurent la visite d’un ambassadeur royaliste, M. de Vitrolles, et que la forte impression qu’il leur communiqua décida, on peut le dire, des événements. M. de Vitrolles était un royaliste ardent, né en 1774 dans les Basses-Alpes, dont la jeunesse s’était écoulée parmi les émigrés, qui avait été lieutenant à « trois sous par jour » dans l’armée de Condé, qui avait reçu là la leçon des faits et la leçon des hommes, et ne devait jamais les perdre. Marié avec la fille adoptive de Mme de Bouillon, Mme de Therville, de famille allemande depuis la révocation de l’Édit de Nantes, il avait goûté les charmes du repos dans une somptueuse aisance. Cependant le voici revenu grâce au Directoire. Son ancien maître d’armes, devenu prince de Pontécorvo, le fait rayer de la liste des émigrés, et il accepte l’Empire, reçoit de l’Empire des faveurs, devient conseiller général du département des Basses-Alpes, maire de Vitrolles, baron. Mais il ne s’était que résigné à ces faveurs et gardait en lui la nostalgie de l’ancienne cour. Il venait à Paris surveiller les rares intrigues royalistes qui, sous l’œil exercé de la police impériale et dans l’attente d’un châtiment certain, osaient se mouvoir dans l’ombre ou emprunter aux conversations frivoles des salons une apparente innocence. Homme d’action, il était rebuté par sa propre impuissance. La conspiration de Malet l’émut comme elle émut, jusque dans son avortement, les hommes même d’une perspicacité secondaire. Qu’avait-il fallu, en effet, pour qu’elle réussît ? Un hasard. Et ainsi la preuve était faite que ce gouvernement formidable était précaire, que l’Empire avait un homme et n’avait pas d’âme, qu’il suffisait d’une absence, d’une captivité, d’une défaillance de l’empereur pour que fût vulnérable la puissante institution.

Plus d’un royaliste reprit courage à ce moment. Après Leipsig, Vitrolles revint à Paris. Cette fois, il ne le quittera plus que pour l’action, et cette action, voici comment il la prépare.

Il était lié surtout avec M. et Mme de Durfort, avec le duc de Dalberg, Allemand, propre neveu du coadjuteur de l’archevêque de Mayence qui, par ordre de Napoléon, avait reçu quatre millions d’indemnités, et qui allait lui manifester sa gratitude. Bien entendu, Dalberg était lié avec Talleyrand qui se mêla à ces intrigues d’assez loin pour n’être pas enseveli dans leur échec, d’assez près pour tirer à lui leur incertain profit. Ce petit cercle d’amis devenait le foyer de la conspiration royaliste. Vitrolles se désespère à voir l’inac-