Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/46

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fond, par elle-même, il n’y avait rien de nouveau, et la Restauration, en apparence, devenait la plagiaire des autres régimes. Qu’avait fait la Révolution, sinon abolir les privilèges, ouvrir à tous l’accession à la propriété, décréter l’égalité devant la loi ? La Charte, en appelant tous les Français à tous les emplois, en maintenant l’ordre de propriété, en promettant de respecter les personnes, nonobstant leurs opinions, consacrait, après Napoléon, l’œuvre révolutionnaire. Elle ne l’eût pu extirper d’un coup sans fouiller jusque dans les entrailles du pays et sans risquer une révolution nouvelle, celle des intérêts compromis ou menacés. Ainsi l’œuvre sociale de la Révolution demeurait entière ; elle était mêlée à l’âme et à la conscience même de la nation et l’ancien régime revenait trop tard pour en anéantir la substance.

De plus, Napoléon avait créé autour de lui des fonctionnaires et réparti entre leurs mains les délégations indispensables dont sa main avare mesurait et dosait la portée. Toutes ces créations administratives étaient respectées. On peut dire, par conséquent, que la Restauration, malgré ses prétentions, subissait l’ordre de choses présent. Elle faisait éclater son désir de rétroagir jusqu’à l’ancienne époque, plus par les discours des hommes, les excès, les provocations, les défis, le défilé des costumes, la réintégration des anciennes modes, que par le fond même des choses. Le roi, les émigrés, les royalistes se résignaient à l’état présent et aspiraient au retour vers l’état ancien. C’est de ce contraste, tour à tour atténué ou violent, entre le vœu des hommes médiocres qui s’étaient, par la main du malheur, abattus sur la France, et le vœu secret et durable des choses indifférentes, c’est de cette contradiction que viendront les difficultés, ensuite les soucis, puis les fautes, enfin les catastrophes par où s’effondrera au soleil de juillet la monarchie française.

Et ces fautes ne furent ni longues à venir, ni faciles à réparer. Napoléon avait disparu, ne laissant rien derrière lui. Suffisant à tout, il avait étouffé les initiatives, abaissé les caractères, laissé prise seulement à la rouerie d’un Fouché ou d’un Talleyrand. Personne ne pouvait se vanter d’avoir été à son école et à personne il n’avait permis de conquérir dans l’État une telle place que cet homme pût maintenant servir utilement la royauté nouvelle.

On s’en aperçut vite et c’est dès le début du règne que la folie, l’incapacité, la cupidité, par dessus tout la profonde ignorance de la France va précipiter le régime vers la ruine. Pour le tenir debout, il eût fallu des hommes qui, au rebours de la formule célèbre « aient tout oublié et tout appris », qui n’eussent pas voulu, de tous les ressorts de leur entêtement sénile ou maladif, refaire dans des cadres nouveaux une monarchie, qui eussent compris leur siècle. On l’a vu, ce n’était pas le roi, moins encore son frère, moins encore sa maison et son entourage qui étaient capables de cet effort ou même de ce désir.

On commence par froisser le commerce avec la fameuse ordonnance du 7 juin qui, soit à Paris, soit en province, rétablit l’obligation légale du repos