Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/50

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

son ressentiment, cette situation, lorsqu’en une soirée, on lui enleva Dupont, pour le remplacer, au ministère, par le maréchal Soult.

Celui-ci qui, retenu jusqu’au 10 avril à Toulouse, par l’armée de Wellington, n’avait pu venir tout de suite apporter ses services à la monarchie nouvelle, avait, depuis, regagné le temps perdu. Il avait reçu en paiement de platitudes le commandement militaire de la Bretagne : c’est là que, pour fournir un gage de plus, il prit l’initiative d’élever un monument aux Vendéens tombés à Quiberon sous les coups de Hoche. Une chapelle se dressa, qui existe encore et où la spéculation tire profit, avec des larmes, de la mort. On le récompensa, en l’appelant à la tête de l’armée et il promit de la « royaliser ». Ses débuts furent malheureux ; il voulut frapper de non-activité le général Exelmans, dont une lettre à Murat avait été saisie, et le renvoyer au loin, dans la Meuse. Celui-ci, dont la femme accouchait, refusa de partir et mit l’épée à la main pour défendre son domicile. On viole le domicile, on maltraite une femme malade ; toute l’opinion se retourna contre le brutal agent de la réaction royaliste, et Exelmans — qu’un conseil de guerre allait acquitter — cingla le maréchal, son camarade de régiment, en lui rappelant en termes cruels la communauté de leur origine, la pureté de leur ancienne pauvreté et la différence actuelle de leurs revenus.

Ainsi tout conspirait contre les Bourbons, et les Bourbons eux-mêmes. Incapable de rien voir par ses yeux éteints, le vieux roi se reposait sur Blacas, lequel ne savait rien, ne faisait rien, recevait les ministres, les congédiait, et n’oubliait pas, dit-on, le salaire de ses propres services dans la liquidation de la fortune privée de Napoléon. Le mécontentement, une irritation encore voilée, apparaissaient chez ceux-là mêmes qui, au sortir du régime impérial, avaient attendu au moins le repos du régime nouveau. Or, il n’apportait que des ferments de discorde et de haine. Qu’avait-on gagné à la substitution ? Question redoutable et que les esprits, insuffisamment distraits par le débat diplomatique de Vienne, se posaient chaque jour.

C’est le 1er octobre, qu’indéfiniment retardé, s’ouvrit enfin le célèbre congrès diplomatique, où, durant des mois, toutes les petites nations, guettées comme des proies, furent dépecées par les grandes. Les rois alliés avaient renversé Napoléon pour le punir de ses œuvres de violences : et ils allaient, dans l’ombre, renouveler cette œuvre à leur profit, frapper les coups de la force, piétiner les territoires trop faibles pour se défendre, fouler trente millions d’êtres dont l’existence, historique devenait l’enjeu de cette discussion. Le rôle de chacune des nations était précisé d’avance et connues ses ambitions. Pour la France, on sait que par l’article 5 du traité du 30 mai, elle reconnaissait d’avance et acceptait le résultat des négociations. La Russie, l’Autriche, la Prusse, l’Angleterre, s’étaient instituées les directrices de la discussion : elles devaient décider et ensuite, ayant terminé, entrer en conférence entre la France, l’Espagne et les petits États.