Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/51

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C’était la France exclue de toute participation directe aux discussions, expropriée de toute influence. Il fallait un peu s’y attendre après le traité du 30 mai. Aussi Talleyrand, qui en était sinon l’auteur, au moins le complice, aurait-il été réduit à l’impuissance sans l’intervention de lord Castelreagh, représentant de l’Angleterre, qui, la première, et bientôt suivie par l’Autriche, se détacha de ce redoutable concert. L’Angleterre et la France protestèrent : le cercle fut élargi et désormais toutes les puissances furent admises à l’élaboration du traité. Comment et pourquoi s’opéra cette révolution diplomatique qui rompait l’alliance entre ces amis d’hier et les transformait en rivaux ? C’est qu’unis pour arrêter la marche de Napoléon, ces gouvernements devaient tomber aux plus méprisables disputes, dès que se poserait la question du partage. Chacun avait sur les dépouilles un droit qu’il croyait supérieur. Et c’est de cette violente rencontre des gloutonneries russe, anglaise, autrichienne, prussienne, longtemps contenues, que sortit le traité de Vienne.

L’Angleterre était satisfaite, sinon rassasiée : elle avait, de par le traité de Paris, Malte, la suprématie dans l’Inde où nous ne pouvions avoir qu’une troupe de police, les îles Ioniennes et le Hanovre. Seule nation coloniale, elle ne pouvait être inquiétée par les autres, mais elle avait la crainte que la Russie, qui gouvernait trois mers, ne s’agrandît au point de devenir une redoutable rivale, et, dès lors, elle devait, au sein du congrès, combattre ses prétentions. Elle n’y manqua pas.

La Russie et la Prusse avaient, au contraire, partie liée : la Russie avait pris la Pologne, accaparé ce qui était le bien de la Prusse. Elle n’entendait rien lui céder. Et elle voulait, naturellement, que son alliée eût une compensation. Elle luttait pour que la Saxe fût entièrement incorporée à la Prusse qui se déclarait satisfaite moyennant ce salaire. Mais voilà ce que l’Autriche ne pouvait accepter sans risquer d’avoir près d’elle, pour voisine, une forte nation, la Prusse, au lieu de la Saxe, et pour autre voisine, la Russie. Elle devint donc l’alliée nécessaire de l’Angleterre, au sein du congrès.

Qu’allait faire la France ? Vaincue, démembrée, abaissée, voilà que les compétitions les plus sordides lui restituaient le rôle d’arbitre. Il fallait qu’elle le prît. Et il ne lui était pas défendu d’exiger, pour prix de son concours, un avantage, par exemple la revision du traité du 30 mai, déjà entamé, puisque, nonobstant la clause de l’article 5 obligeant la France à se contenter de tout résultat acquis, celle-ci était la maîtresse de la situation.

Reviser le traité du 30 mai, c’était reconquérir une partie de nos positions, regagner quelques-uns des avantages si déplorablement concédés. On pouvait attendre de Talleyrand cet effort. Mais Talleyrand était parti de Paris avec des pouvoirs assez précis : c’était d’obtenir la restauration sur le trône de Naples du roi Ferdinand de Bourbon, c’est-à-dire le détrônement