Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/340

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cussion s’élève, ardente et féconde, entre le socialisme et la République pure.

Nous l’avons dit : ce sont les lois de 1868, ce sont la loi sur la presse, promulguée le 11 mai et la loi sur les réunions publiques, promulguée le 8 juin, qui donnèrent l’essor au mouvement républicain et socialiste jusqu’alors contenu, et qui permirent aux sentiments des foules de se manifester.

On en connaît les principales dispositions. La loi sur la presse abolissait le régime des autorisations. Pour fonder un journal, il n’y avait plus besoin d’autorisation ; une déclaration suffisait. Les avertissements étaient abolis ; abolies également les suspensions et les suppressions par voie administrative. Les journaux ne pouvaient plus être frappés que par une sentence judiciaire ; mais, comme le gouvernement impérial savait ce qu’il en avait des gouvernements antérieurs d’avoir laissé au jury le soin d’apprécier les délits de presse, les procès de presse étaient renvoyés aux tribunaux correctionnels ; et les pénalités étaient énormes. Il demeurait défendu aux journaux de discuter la Constitution et de publier sur les débats des Chambres autre chose qu’un compte-rendu officiel. Des entraves fiscales, comme le timbre et le cautionnement, subsistaient nombreuses. En fait, le pouvoir discrétionnaire du gouvernement sur la presse se trouvait aboli ; mais le régime auquel elle se trouvait soumise, demeurait encore assez rude.

La loi sur les réunions autorisait en principe les réunions publiques ; mais elles ne pouvaient avoir lieu qu’après une déclaration signée de sept personnes, dans un local fermé, et sous la surveillance d’un commissaire de police, qui avait le pouvoir de les dissoudre. Le gouvernement avait le droit d’ajourner ou d’interdire toute réunion. La loi ne parlait point du droit d’association. Ce droit n’existait point. Il n’existait qu’une tolérance gouvernementale.

Pour quelles, raisons, après avoir retardé près de dix-huit mois l’accomplissement des promesses libérales faites en janvier 1867, l’Empereur s’était brusquement décidé à les tenir ? Au début même de 1868, on pouvait se sentir encore en pleine réaction. Depuis l’affaire de Mentana, depuis les interpellations et débats sur les affaires d’Italie (décembre 67), le gouvernement se trouvait de nouveau inféodé aux intérêts catholiques. L’Empereur répondait aux archevêques par de pieux discours, appelait sur son règne la protection divine et proclamait que « l’Église est le sanctuaire où se maintiennent intacts les grands principes de morale chrétienne qui élèvent l’âme au-dessus des intérêts matériels » (Discours de Rouen, mai 1868). Les évêques, haussant le ton, prétendaient régenter l’État et multipliaient les attaques contre l’Université, propagatrice des doctrines immorales et perverses. M. de Bonnechose, au Sénat, combattait la liberté de l’Enseignement supérieur ; M. Dupanloup, l’évêque d’Orléans, s’acharnait contre les cours secondaires de jeunes filles, dont l’éducation, confiée à l’Église comme un dépôt, ne pouvait, disait-il, lui être ravie. Et l’épiscopat français presque