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CHAPITRE XXII


De l’extreme famine, tourmentes et autres dangers d’où Dieu nous preserva en repassant en France.


Or apres que toutes les choses susdites nous furent advenues, rentrans de fievre en chaud mal (comme on dit) d’autant que nous estions encores à plus de cinq cens lieuës loin de France, nostre ordinaire tant de biscuit que d’autres vivres et bruvages, n’estant jà que trop petit, fut neantmoins tout à coup retranché de la moitié. Et ne nous advint pas seulement ce retardement du mauvais temps et vents contraires que nous eusmes : car outre cela, comme j’ay dit ailleurs, le Pilote pour n’avoir bien observé sa route, se trouva tellement deceu, que quand il nous dit que nous approchions du Cap de Fine terre (qui est sur la coste d’Espagne), nous estions encores à la hauteur des Isles des Essores, qui en sont à plus de trois cens lieuës. Cest erreur doncques, en matiere de navigation fut cause que dés la fin du mois d’Avril nous fusmes entierement despourveus de tous vivres : tellement que ce fut, pour le dernier mets à nettoyer et ballier la soute, c’est à dire, la chambrette blanchie et plastrée où l’on tient le biscuit dans les navires : en laquelle ayant trouvé plus de vers et de crottes de rats que de miettes de pain, partissans neantmoins cela avec des cueillers, nous en faisions de la bouillie, laquelle estant aussi