Page:Jouffret - De Hugo à Mistral, 1902.djvu/21

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lisent beaucoup à leurs élèves, surtout des poètes contemporains. Même sous l’empire, on lisait du Victor Hugo dans les classes. J’ai entendu dire, ou j’ai lu quelque part, qu’un de nos aînés, à cette époque, emmenait chez lui les externes pour leur donner lecture des Châtiments. Ces lectures larges, désintéressées, faites sans aucune préoccupation de littérature ou d’enseignement, écoutées uniquement pour le plaisir, pour le charme qui s’attache aux beaux vers et à une bonne diction, me paraissent être un moyen pédagogique excellent. Je ne demande pas qu’on les introduise de vive force dans les programmes, elles perdraient peut-être de leur vertu, mais je souhaite que tous mes collègues de l’enseignement secondaire les pratiquent, comme je les ai pratiquées moi-même, avec le même plaisir et les mêmes résultats.


II. Puisqu’aussi bien cette première leçon est consacrée à l’exposé de quelques idées générales, et que nous n’avons pas le temps d’aborder aujourd’hui l’étude de V. Hugo, je voudrais vous dire, en une sorte de digression que vous me pardonnerez, les raisons qui m’ont poussé à prendre pour sujet de ces entretiens la poésie française contemporaine. C’est d’abord mon goût personnel, ma prédilection marquée pour les choses de la poésie, mais c’est aussi une raison d’amour propre national, et une raison d’intérêt pédagogique.

On ne rend pas toujours justice, en Allemagne et en Angleterre, aux qualités poétiques de l’esprit français. On reconnaît que les Français ont en partage le bon sens, la logique, la netteté, la précision, la clarté, et même ce bon sens aiguisé qu’on appelle l’esprit ; mais on leur refuse, ou du moins on ne leur attribue que très difficilement, avec toutes sortes de réserves et de restrictions, les parties les plus élevées de cette qualité maîtresse qu’on appelle l’imagination. Et comme l’imagination est la faculté poétique par