Page:Jouffret - De Hugo à Mistral, 1902.djvu/40

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c’est aussi une pensée d’orgueil qui l’a dicté. Il craint sans doute, en faisant des confidences, de diminuer l’étonnement que cause sa puissance créatrice. « Le mystère qui enveloppe les sources du Nil, remarque très-bien M. Mabilleau, ajoute quelque grandeur à l’idée qu’on se fait du fleuve. » Mais cette remarque n’est vraie que de la foule, elle ne s’applique pas au savant. Nous n’avons pas moins d’admiration pour le Nil, depuis que de hardis explorateurs ont découvert ses sources, et la grandeur de V. Hugo ne sera pas diminuée, si nous expliquons psychologiquement la genèse de son œuvre. Peut-être même cette grandeur sera-t-elle accrue.

J’exposerai brièvement le résultat de ces recherches. D’abord j’indiquerai ce que l’analyse nous apprend de la constitution des sens, et particulièrement du sens de la vue chez V. Hugo, — en second lieu, j’essaierai de montrer comment de l’organisation sensorielle, pour parler le langage des psychologues modernes, se dégage la Mémoire imaginative et l’Imagination — la nature de l’imagination étant déterminée par la nature du sens et même de l’organe — et enfin, dans une troisième partie, je montrerai, en quelques mots, ce que devait être, chez un tel homme, la Pensée abstraite, scientifique ou philosophique.

Commençons par l’analyse des sens. Ici, je prendrai surtout pour guide M. Léopold Mabilleau.

I.


Chacun de nous est caractérisé par le développement spécial et quelquefois exceptionnel d’un sens: les uns appartiennent au type visuel, les autres au type auditif, d’autres enfin au type moteur. Cette loi se vérifie, avec plus de précision encore en ce qui touche les hommes de génie. M. Émile Zola, par exemple, est surtout remarquable par le développement extraordinaire de son odorat. Il n’y a qu’à lire, pour s’en convaincre, sa description du Ventre de Paris, Eh bien ! chez V. Hugo le sens qui domine, qui