Page:Jouffret - De Hugo à Mistral, 1902.djvu/41

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remporte prodigieusement sur les autres, cest le sens de la vue. V. Hugo est un voyant, dans tous les sens de ce mot.

D’abord il avait d’excellents yeux. Quand il était élève de la pension Cordier, d’après le témoin de sa vie, il lisait à l’œil nu une enseigne très éloignée que ses camarades ne pouvaient distinguer avec une lorgnette marine, ce qui lui attira ce mot du répétiteur : la longue-vue, c’est le vôtre. On sait aussi que toute sa vie il pratiqua le dédain des lunettes.

Voilà ce que nous apprennent les biographes ; mais si nous consultons l’œuvre, nous y trouvons à chaque page des témoignage de ce pouvoir visuel.


« Je vis, dans la nuée, un clairon monstrueux…
Je vis cette faucheuse, elle était dans un champ… »


« Choses vues, dit très bien M. Mabilleau, ce titre d’un des ouvrages récemment parus du maître peut servir d’épigraphe à toute son œuvre, si l’on veut interpréter assez largement le mot, pour y comprendre non-seulement les impressions directement traduites, mais encore leur évocation mentale.»

Voilà donc un premier point bien établi. Le sens de la viie est chez V. Hugo le sens prédominant, mais comment ce sens est-il constitué ? quel genre de sensations est-il habitué à percevoir ? V. Hugo est un voyant, mais que voit-il ?

M. Léopold Mabilleau se livre tout d’abord à une analyse très ingénieuse des dessins de V. Hugo, esquisses à l’encre ou à l’aqua-tinta, châteaux forts moyen-âgeux, cathédrales gothiques, paysages falots où de gros nuages noirs courent sur le disque de la lune, et après s’être étonné que pendant plus de trente ans, ce poète dessinateur n’ait jamais été tenté de faire usage de la couleur, remarque, en examinant de près ces ébauches, « que la teinte propre des objets ne s’y révèle même pas par le procédé de traduction spéciale que comporte ce genre d’art, j’entends par