Page:Jourde - Souvenirs d’un membre de la Commune.djvu/122

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Le propriétaire de l’établissement arriva sur ces entrefaites ; à peine eut-il aperçu le nouvel arrivé qu’il se dirigea vivement de son côté :

« — Vous savez bien que je ne veux pas qu’on vous serve, lui dit-il brutalement.

— Pourquoi cela ? vous n’avez presque personne en ce moment ; permettez-moi de me rafraîchir et je me retirerai aussitôt après. »

Cette réponse avait été faite d’une voix pleine de tristesse et d’émotion.

« — Allez-vous-en, vous dis-je, reprit l’aubergiste ; on ne vous servirait pas même un verre d’eau ; je ne veux pas de vous ici. »

L’homme se redressa :

« — Et si je refusais de partir, que feriez-vous donc ?

— Les gendarmes ne sont pas loin, lui fut-il répondu ; vous savez ce qu’il vous en coûterait de faire l’entêté.

— Tenez, monsieur, ce que vous faites là est grave, plus grave que vous ne le supposez ; laissez-moi là, un instant, comme les honnêtes gens ont le droit de le faire, vous me donnerez, croyez-moi, plus qu’un instant de plaisir.

— Non, vous dis-je, si vous ne partez à l’instant, j’envoie prévenir.

— Eh bien ! je pars, dit en se levant le malheureux ; mais, s’il vous reste un peu de cœur, vous regretterez toute votre vie ce que vous venez de faire.»