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DE L'INTELLIGENCE


souci), comme le Caraïbe qui vend son hamac le matin, et qui est si surpris le soir qu’il ne sait plus comment il passera la nuit. Mais quand la moralité n’en reçoit aucune atteinte, on peut regarder celui qui est endurci contre tous les événements comme plus heureux que celui qui est toujours à chercher d’un œil incertain le plaisir de la vie. Mais de toutes les perspectives que l’homme peut avoir, la plus consolante est bien d’avoir, dans l’état moral actuel, un motif d’espérer la continuation et le progrès ultérieur d’un plus grand perfectionnement encore. Lorsqu’au contraire, tout en prenant la résolution courageuse de suivre une voie nouvelle et meilleure, il faut se dire : il n’en sera rien cependant, parce que souvent tu t’es fait cette promesse (pour l’avenir), et qu’elle n’a jamais été tenue, sous prétexte d’une exception pour cette fois seulement, alors on peut s’attendre, sans consolation, à des retours pareils.

Mais lorsqu’il s’agit du sort qui peut nous menacer, et non de notre libre arbitre, la vue de l’avenir est ou un pressentiment (prœsensio) ou (1)[1] un présage (prœsagitio). Le pressentiment est comme un sens caché de ce qui n’est pas encore présent ; le présage

  1. (1) On a voulu dernièrement mettre une différence entre ahnen et ahnden, mais le premier de ces mots n’est pas allemand ; reste donc le dernier. — Ahnden (pressentir) signifie la même chose que gedenken (penser). Es ahndet mir (j’ai un pressentiment), veut donc dire : quelque chose de confus se présente à mon souvenir ; pressentir quelque chose [pour quelqu’un] signifie penser mal pour lui du résultat de son action (c’est-à-dire la punir). C’est toujours la même notion, mais appliquée différemment.