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AVANT-PROPOS


compléter la morale, la Doctrine de la vertu[1]. Les vertus que la dernière nous enseigne ne sont pas seulement, d’ailleurs, un ornement destiné à couronner la première, mais sans influence sur l’accomplissement des devoirs qu’elle nous prescrit. Elles ont au contraire une action qui s’étend jusque sur le domaine du droit, et qui ne lui ferait pas impunément défaut ; aussi est-ce par pure fiction que je supposais tout à l’heure l’idéal du droit réalisé en dehors de toute autre vertu. Celui en effet qui se respecte lui-même ne peut manquer de respecter les autres, et celui qui aime l’humanité aura naturellement horreur de l’injustice. Celui au contraire qui abuse de sa liberté contre lui-même est bien près d’en abuser contre ses semblables : les vices personnels, comme l’intempérance ou la cupidité, vont rarement sans entraîner à leur suite l’iniquité et la violence. De même l’envie, l’ingratitude, la dureté de cœur, et tous les vices de ce genre, en éteignant en nous les sentiments les plus humains, nous poussent au mépris des droits les plus sacrés. Ajoutons que, quand même les hommes ne descendraient pas à des vices si odieux, la seule absence des vertus philanthropiques suffirait à gâter le règne du droit. Le droit en effet est de sa nature personnel, exclusif, égoïste ; il a besoin d’être tempéré par la pratique de ces vertus. La justice a pour sœur la fraternité ; et, quoique ces deux sœurs aient des domaines fort distincts, quoique la dernière, comme les vertus de la morale individuelle, ne relève que de la conscience et repousse toute contrainte extérieure, tandis que la première,

  1. Ce second ouvrage fut publié peu de temps après le premier, en 1797. Une seconde édition en parut du vivant de l’auteur, en 1803 (un an avant sa mort), mais sans autre changement que celui de quelques divisions et de quelques expressions. J’ai suivi, comme pour la Doctrine du droit, le texte donné par MM. Rosenkranz et Schubert, c’est-à-dire la seconde édition.