Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/24

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le casa dans un poste que nous appellerons Sutrain. Cela se trouvait dans les montagnes, et se dénommait officiellement sanatorium, pour la bonne raison que les égouts y manquaient totalement. Georgie Porgie s’y installa et découvrit que l’existence matrimoniale lui convenait par nature. Il ne s’extasia pas, comme font tant de jeunes mariés, sur la plaisante singularité de voir sa propre bien-aimée en personne s’asseoir avec lui chaque matin à déjeuner « comme si c’était la chose la plus naturelle du monde ». « Il avait déjà vu ça », comme on dit, et comparant les présents mérites de sa chère Grace à ceux de Georgina, il était de plus en plus tenté de croire qu’il avait bien agi.

Mais il n’y avait ni paix ni joie de l’autre côté du golfe du Bengale, sous les tecks où Georgina vivait avec son père, en attendant le retour de Georgie Porgie. Le chef était vieux, et se rappelait la guerre de 51. Il avait été à Rangoun, et savait quelque chose des façons des kullahs. Assis devant son seuil, dans les soirs, il enseignait à Georgina une amère sagesse qui ne la consolait pas le moins du monde.

Le mal était qu’elle aimait Georgie Porgie tout autant que la jeune Française des livres d’histoire aimait le prêtre à qui les séides du roi avaient cassé la tête. Un jour elle disparut du village avec toutes les roupies que Georgie Porgie lui avait données, et une très faible teinture d’anglais — qu’elle tenait également de Georgie Porgie.

Le chef fut fâché tout d’abord, mais il finit par allumer un autre cheroot en émettant une réflexion