Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/37

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point à avoir affaire. Je ne le voyais pas, mais je pouvais voir les tentures séparant les chambres frémir quand il venait à les traverser ; j’entendais les fauteuils de rotin gémir quand ils se redressaient sous le poids qui venait de les quitter ; et quand j’allais chercher un livre dans la salle à manger je sentais que quelqu’un attendait dans l’ombre de la véranda de devant que je me fusse éloigné. Pour donner encore plus d’agrément au crépuscule, Tietjens se tenait en arrêt devant les chambres enténébrées, tout le poil hérissé, et suivant les mouvements de quelqu’un d’invisible pour moi. Elle n’entrait pas dans les chambres, mais elle remuait les yeux, et c’était déjà bien assez. Quand mon domestique était venu régler les lampes et mettre partout de la clarté et de l’intimité, alors seulement elle consentait à m’accompagner à l’intérieur et elle passait son temps assise sur son derrière, à surveiller un homme invisible et surnuméraire qui se déplaçait çà et là derrière mon dos. Il y a des chiennes qui sont de joyeuses compagnes.

J’exposai à Strickland, le plus gentiment possible, que je comptais m’en aller au club et m’y trouver un logement. Je rendais hommage à son hospitalité ; ses fusils et cannes à pêche m’avaient ravi ; mais je n’aimais pas beaucoup la maison et son atmosphère. Il m’écouta jusqu’au bout, puis sourit très mélancoliquement mais sans ironie, car c’est un homme qui comprend les choses.

— Restez, me dit-il, pour voir ce que cela signifie. Tout ce dont vous avez parlé, je l’ai su depuis que