Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/50

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Tallantire hocha la tête. Yardley-Orde était bien proche de la mort. Quel besoin de le tourmenter par l’espoir d’une rencontre qui ne saurait avoir lieu. Le fleuve qui battait sa rive, fit s’ébouler une falaise de sable, et sa rage en parut renforcée. Les hommes de la litière cherchaient du combustible parmi les débris amoncelés — bouse de chameau et détritus des campements qui comme eux s’étaient arrêtés au gué. Tandis qu’ils se mouvaient sans bruit dans la vague clarté de la lune, le ceinturon de leurs sabres cliquetaient ; et le cheval de Tallantire toussait pour faire comprendre qu’il eût désiré une couverture.

— J’ai froid aussi, dit la voix sortant de la litière. Je crois que voici la fin. Pauvre Polly !

Tallantire l’enveloppa mieux dans ses couvertures. Voyant cela, Khoda Dad Khan se dépouilla de son épaisse capote en peau de mouton ouatée, l’ajouta au monceau, et dit :

— J’aurai vite fait de me réchauffer auprès du feu.

Tallantire prit entre ses bras le corps amaigri de son chef et le tint contre sa poitrine. À condition de le tenir bien chaud, peut-être Orde vivrait-il assez pour revoir sa femme encore une fois. Si seulement l’aveugle Providence daignait envoyer sur le fleuve une baisse soudaine de trois pieds !

— Cela va mieux, dit Orde faiblement. Je regrette de vous donner tout ce tracas, mais… y a-t-il quelque chose à boire ?

On lui donna du lait coupé de whisky, et Tallan-