Page:Kropotkine - La Morale anarchiste.djvu/30

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ment en politique, qu’est-ce, sinon le besoin de donner son coup d’épaule au coche ou de bourdonner autour ?


Certainement, cette « fécondité de la volonté », cette soif d’action quand elle n’est accompagnée que d’une sensibilité pauvre et d’une intelligence incapable de créer, ne donnera qu’un Napoléon 1er ou un Bismarck — des toqués qui voulaient faire marcher le monde à rebours. D’autre part, une fécondité de l’esprit, dénuée cependant de sensibilité bien développée, donnera ces fruits secs, les savants qui ne font qu’arrêter le progrès de la science. Et enfin la sensibilité non guidée par une intelligence assez vaste produira ces femmes prêtes à tout sacrifier à une brute quelconque sur laquelle elles versent tout leur amour.

Pour être réellement féconde, la vie doit être en intelligence, en sentiment et en volonté à la fois. Mais alors, cette fécondité dans toutes les directions c’est la vie : la seule chose qui mérite ce nom. Pour un moment de cette vie, ceux qui l’ont entrevue donnent des années d’existence végétative. Sans cette vie débordante, on n’est qu’un vieillard avant l’âge, un impuissant, une plante qui se dessèche sans jamais avoir fleuri.

« Laissons aux pourritures fin de siècle cette vie qui n’en est pas une » — s’écrie la jeunesse, la vraie jeunesse pleine de sève qui veut vivre et semer la vie autour d’elle. Et chaque fois qu’une société tombe en pourriture, une poussée venue de cette jeunesse brise les vieux moules économiques, politiques, moraux pour faire germer une vie nouvelle. Qu’importe si untel ou untel tombe dans la lutte ! La sève monte toujours. Pour lui, vivre c’est fleurir, quelles qu’en soient les conséquences ! Il ne les regrette pas.


Mais, sans parler des époques héroïques de l’humanité, et en prenant la vie de tous les jours — est-ce une vie que de vivre en désaccord avec son idéal ?

De nos jours, on entend dire souvent que l’on se moque de l’idéal. Cela se comprend. On a si souvent confondu l’idéal avec la mutilation bouddhiste ou chrétienne, on a si souvent employé ce mot pour tromper les naïfs, que la réaction est nécessaire et salutaire. Nous aussi, nous aimerions remplacer ce mot « idéal », couvert de tant de souillures, par un mot nouveau plus conforme aux idées nouvelles.

Mais, quel que soit le mot, le fait est là : chaque être humain a son idéal. Bismark a le sien, si fantastique qu’il soit : le gouvernement par le fer et le feu. Chaque bourgeois a le sien, — ne serait-ce que la baignoire d’argent de Gambetta, le cuisinier Trompette, et beaucoup d’esclaves pour payer Trompette et la baignoire sans trop se faire tirer l’oreille.

Mais à côté de ceux-là, il y a l’être humain qui a conçu un idéal supérieur. Une vie de brute ne peut pas le satisfaire. La servilité, le mensonge, le manque de bonne foi, l’intrigue, l’inégalité dans les rapports humains le révoltent. Comment peut-il devenir servile, menteur intri-