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qui rendons notre volonté bonne, les Pélagiens devraient conclure que ce qui vient de nous, la volonté bonne, vaut mieux que ce qui vient de Dieu, la volonté tout court.

Ces quelques exemples suffisent à montrer quel accueil réservé trouvait la philosophie grecque dans les milieux latins ; un saint Ambroise (mort en 397), attaché à la discipline plus qu’à la doctrine, trouvait plutôt son modèle dans le traité Des Devoirs de Cicéron, qu’il imite dans le traité de même titre où il énonce les obligations des clercs ; auparavant Tertullien (160-245), se donnant comme fidèle gardien de l’orthodoxie, ne concédait de valeur qu’à la morale stoïcienne et accordait que « Sénèque est souvent nôtre » ; mais il était bien éloigné de faire une place à la machinerie métaphysique compliquée du néoplatonisme et même à l’éducation libérale grecque.


VII. — Le Christianisme en Orient au ive et au ve siècle.


Il en était tout autrement en Orient, où la théologie « réservée au clergé, aux fonctionnaires et à la bonne société, tandis que le peuple vit d’un christianisme de second ordre, est tout à fait dans la tradition de l’aristocratisme Hellénique[1]». Aussi Eusèbe de Césarée (265-340), par exemple, dans sa Préparation évangélique, destinée à montrer comment le christianisme est susceptible d’une claire démonstration et n’est pas une foi aveugle, cite de copieux extraits des philosophes grecs, dont beaucoup ne nous sont connus que par lui. Plus tard, on voit Grégoire de Naziance (330-390) défendre l’éducation libérale des Grecs, c’est-à-dire des sciences, contre des chrétiens qui la jugeaient inutile[2] ; les allusions que l’on trouve aux écoles philosophiques dans ses Éloges de Césarée et de Basile prouvent na connaissance familière de la philosophie grecque[3]. Pourtant, dans le milieu des Cappadociens, Basile, Grégoire de Nysse (mort en 395), Grégoire de Naziance et aussi de saint Jean Chrysostome, les philosophes grecs restent « les sages du dehors » dont on se sert à l’occasion pour commenter l’Écriture[4].

Saint Jean Chrysostome ne cache pas « qu’il faudrait que nous

  1. Harnack, Dogmengeschischte, vol. II, p. 273.
  2. Éloge de Basile, chap. xi et xii.
  3. Éloge de Césaire, XX, 4 et 5 ; de Basile, XX, 2 ; LX, 4.
  4. Grégoire de Nysse, Patrologie grecque de Migne, vol; XLIV, 1335 a.