Page:La Curne - Dictionnaire historique - 1875 - Tome 01.djvu/13

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
v

Dupuy, des Pithou, des Valois, des du Cange, des PP. Labbe, Sirmond, le Cointe, d’Achery et Mabillon, et d’une foule d’autres qu’il seroit inutile de nommer.

À la vue de tant de secours qu’ils nous ont préparés, nous qui sommes soutenus, comme ils l’étoient de leur temps, de la protection du Roi et de la bienveillance de ses Ministres, pourrions-nous rester oisifs, dans un siècle où l’esprit de discussion et de critique, épuré par le goût, semble être au point de maturité ? Aussi les travaux de nos devanciers redoublent-ils le zèle de leurs successeurs. De nouvelles entreprises le disputent journellement aux anciennes, et concourent toutes au même but. Les Archives, les Bibliothèques ouvertes de toutes parts offrent des trésors inépuisables à qui veut les employer. De combien de Chartres, Chroniques, de Titres de toute espèce, nos laborieux Compilateurs n’ont-ils pas enrichi le Public ? Le savant Ouvrage du P. Mabillon si bien continué, si judicieusement augmenté par de nouveaux Ecrivains ; celui de Du Cange étendu, perfectionné dans la nouvelle édition qui attend encore un riche supplément, nous facilitent la lecture et l’intelligence de tant de précieux monuments. Rendons-en graces à leurs Auteurs ; mais osons le dire : ces secours seront toujours insuffisants, tant que nous n’aurons point l’ouvrage par lequel il aurait fallu commencer.

Budé et les autres Restaurateurs des Lettres comprirent qu’il ne suffisoit pas de multiplier par l’impression, et de répandre par-tout le texte des Ecrivains de la Grèce et de Rome, si l’on n’en donnoit aussi la clef, c’est-à-dire, des Dictionnaires exacts. Nos Littérateurs François n’ont point profité de cet exemple.

Au bout de 200 ans de travaux, malgré les voeux réitérés d’une multitude de Savants, et les instances de M. Falconet dans un Mémoire curieux qu’il lut en 1727 dans une assemblée publique de l’Académie, nous sommes encore à désirer un Glossaire François, qui nous fasse entendre la langue de nos anciens Auteurs. Nous avons, à la vérité, sur quelques-uns d’eux, des Glossaires particuliers, tels que celui de Loisel sur les Poésies d’Elinand, et quelques autres ; mais personne n’a, jusqu’à ce jour, embrassé l’objet dans toute son étendue.

En se bornant à répéter sans cesse des explications inutiles, souvent fausses ou hasardées du même mot, on a négligé d’en expliquer beaucoup d’autres qui arrêtent encore les lecteurs : on s’est dispensé d’assigner aux mots déja connus toutes les acceptions dans lesquelles ils ont été employés. Deux raisons peuvent avoir détourné de ce travail : d’une part, l’inutilité prétendue, à n’en juger qu’à la première inspection ; de l’autre, l’immensité des lectures en tout genre qu’exigeoit cette entreprise. Qu’avons-nous besoin, disent les uns, d’un Glossaire François ? tant d’hommes profonds dans notre Histoire n’avoient point ce secours, et n’ont point laissé d’être experts dans la lecture de nos vieilles Chroniques et de nos anciennes Chartres. J’en conviendrai, si l’on veut ; mais du moins faut-il m’accorder qu’à l’aide d’un Glossaire, les habiles gens les auroient encore mieux lues, ou plus facilement entendues. Les premiers pas, toujours les plus rebutants dans quelque carrière que ce soit, auroient été pour eux, et moins longs et moins pénibles : les Auteurs auroient plus utilement employé le temps qu’ils perdirent à s’échaffauder, à tâtonner, à deviner.

Comment se résoudre, disent les autres qui s’effrayent de l’immensité des recherches, à s’user les yeux sur une multitude de titres qui n’apprennent rien, ou presque rien ; à dévorer d’anciens livres fastidieux et barbares qui parlent chacun leur jargon, suivant les Provinces où vécurent les Auteurs, et quelquefois même selon le caprice d’une imagination égarée, qui n’admettait ni borne, ni ordre, ni convenance dans ses métaphores et dans ses figures ? Se condamnera-t-on à passer sa vie dans ce pénible exercice, et cela pour recueillir uniquement de vieux mots, dont un grand nombre se sont conservés dans le patois de quelques cantons de Province ? Présenter à une Nation éclairée, civilisée, excessivement délicate, des mots et des tours relégués dans les entretiens grossiers de la lie du peuple, ce seroit pour fruit de ses veilles, s’exposer au ridicule que ne manqueroient pas de jeter sur un pareil ouvrage des hommes superficiels, incapables d’en apercevoir l’utilité.

Pour vaincre des difficultés si rebutantes, pour s’exposer à de tels risques, il faut, j’en conviens, une sorte de courage ; mais enfin, si l’on s’étoit une fois bien persuadé qu’à ce prix on eût pu rendre un service considérable aux Lettres, à sa Nation, certainement, d’autres avant moi, se seroient chargés de cette entreprise. Quelle confiance d’ailleurs ne devoit point donner l’exemple du célèbre Du Cange, dont la mémoire ne périra jamais, tant qu’il restera parmi nous une étincelle de cet amour de la patrie, qui doit animer tous nos Savants.

Quelqu’immenses, quelqu’utiles que soient ses autres travaux, c’est sur-tout à son Glossaire qu’il sera redevable de l’immortalité. Aussi, pouvons-nous dire hardiment que nous tenons de ce grand homme la certitude de toutes les connoissances que nous ont transmis les Savants qui sont venus après lui ; que sans lui, leur marche dans la carrière de notre Histoire et de nos Antiquités ecclésiastiques ou civiles, eût été souvent incertaine et chancelante, et qu’en voulant nous guider, ils se seroient égarés eux-mêmes les premiers. Il est vrai qu’en déchiffrant le Latin barbare, il a sur-tout travaillé pour des hommes doctes qui peuvent seuls connoître la valeur de son travail : avantage dont ne peut se flatter également