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UNE LETTRE

Gérardmer, ce 10 juillet 1925

MESSIEURS, Ces jours-ci, un jeune homme a tenté de se suicider, en se jetant dans le lac de Gérardmer. Ce jeune homme était, il y a un an, l’abbé Gengenbach, et se trouvait chez les Jésuites, a L'Externat du Trocadéro, 12, rue Franklin... A cause de cela on a essayé d’étouffer le scandale à Gérardmer, mais je sais que le désir de ce jeune homme était au contraire qu'on fît du bruit autour de ce suicide. Ce jeune homme c'est moi. Quand vous recevrez cette lettre, j’aurai disparu, mais si mes renseignements ne vous suffisent pas, je vous autorise à vous adresser à ma cousine, Mlle J. Viry, institutrice à Retoumemer, près Gérardmer. Il y a un an exactement, j’étais abbé chez les Jésuites à Paris et étais appelé à une belle situation dans le monde ecclésiastique. Il m’arriva une ébauche d’aventure amoureuse avec une jeune actrice de l’Odéon, à la suite d une soirée que j’avais passée en civil, au théâtre de l’Athénée. On jouait Romance avec M. Sona. La pièce, représentant L'idylle d’un jeune pasteur protestant et d’une cantatrice italienne, m'avait beaucoup ému. Les Jésuites furent au courant. Quelque temps après, j’allai dîner, avec mon actrice, au Komano, grand restaurant dancing de la rue Caumartin. Le lendemain, les Jésuites me renvoyèrent, me laissant seul sur le pavé de Pans. Je vins à Plombières, dans ma famille, et menai une vie assez mondaine. En pleine saison, mon évêque m’interdit de porter la soutane... et je dus défroquer. Je me trouvai ainsi tout désorienté à vingt et un ans, au milieu de l’existence... Je me rendis compte très vite que j'étais perdu. J'ai trop subi l’empreinte sacerdotale pour pouvoir être heureux dans le monde. D’autre part, ma jeune amie, qui aurait aimé devenir ma maîtresse si j’avais continué à porter la soutane (laquelle exerce sur certaines femmes un attrait morbide), m’abandonna dès que je ne fus plus qu’un banal civil... Je tombai dans la neurasthénie aiguë