Page:La Revue blanche, t29, 1902.djvu/19

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quer à son complice que l’on ne pouvait décemment aller massacrer un monarque dans une tenue aussi peu cérémonieuse que le veston d’atelier : il se fit offrir un complet, une montre pour voir l’heure du crime ! et le revolver indispensable. Après quoi, rendez-vous fut pris pour les derniers préparatifs.

Ce beau samedi de veillée d’armes, où l’on devait boucler les valises, restera dans quelques mémoires. En son complet battant neuf, un peu avant le temps convenu — la montre avançait peut-être — l’homme enrôlé pour tuer le roi pénétra d’un pas assuré dans la maison isolée où Rafaele allait le rejoindre. L’assassin était accompagné d’une dizaine de personnages à la mine peu satisfaite. Le complot se corsait sans doute. Rafaele ne s’ennuierait pas.

Le fait est que lorsqu’il se présenta, le quidam fut plutôt surpris. Sans la moindre brutalité, et pour apprendre à la police qu’on peut opérer poliment, on retourna les poches du monsieur et l’on ouvrit son portefeuille. Rien de suspect. Les compagnons allaient être forcés de procéder comme de simples juges à l’interrogatoire du prévenu, lorsque celui-ci, pris de peur, préféra des aveux complets :

— Ne me faites pas de mal, supplia-t-il, je dirai tout.

On le mit à l’aise. Il expliqua que, condamné pour vol à Turin, s’étant enfui en Amérique et se trouvant sans ressources à New York, il s’était rendu au consulat dans l’intention de se livrer ; là, il avait fait connaissance avec un fonctionnaire qui lui promit d’obtenir la remise de sa peine s’il fournissait quelques renseignements — sensationnels, insista-t-il — sur les anarchistes de Paterson.

Le malheureux avait accepté.

Depuis, on lui donnait de l’argent et des conseils ; ce n’était pas lui qui avait eu l’idée de l’affaire. Et maintenant il demandait pardon, jurait que les anarchistes l’avaient converti sans le vouloir par leur bon cœur, leurs beaux espoirs ; jamais, au dernier moment, il n’aurait eu le courage de laisser partir le camarade dont le signalement était déjà expédié par toute l’Italie. Il tremblait, la face blêmie ; sa voix hoquetait dans le silence. Lamentable, il tomba à genoux. La scène avait assez duré, énervante, crispant les poings. On le releva. Et repoussant l’opinion de quelques-uns qui voulaient lui griller au front, en lettres indélébiles, traditore, on termina avec méthode, scrupuleusement.

Comme on avait débuté par la fouille, et que dans cette voie il y a l’engrenage, on lui fit écrire et signer sa « déposition ».